Corruption: les cadeaux aux ingénieurs faisaient partie de la «culture d’entreprise»

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 31/10/2012 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 11h44 HAE, 1er novembre 2012.

MONTRÉAL – L’ingénieur Luc Leclerc, retraité de la Ville de Montréal, a décrit jeudi à la Commission Charbonneau ce qu’il a qualifié de «culture d’entreprise», soit la proximité entre les ingénieurs et surveillants de chantiers de la ville et les entrepreneurs qui leur offraient des cadeaux.

Ces cadeaux sont arrivés «pour tout le monde» par camion dès Noël 1990.

L’ancien chargé de projets de la Ville de Montréal a relaté qu’à Noël 1990, quelqu’un est entré dans son département, a dit «mettez vos manteaux, on sort dehors». Et le premier camion «pickup» est arrivé rempli de cadeaux.

«Mon nom est là; je prends le cadeau et mets ça dans la voiture comme les autres», se souvient-il.

Publicité

La scène de la livraison des cadeaux s’est répétée «deux ou trois fois dans la journée» et «pendant plusieurs jours avant Noël», a relaté le témoin.

«C’était la culture d’entreprise. Ça faisait des générations que ça se faisait comme ça», a-t-il raconté. Et le phénomène s’est répété d’année en année, sans que personne ne sourcille au plan éthique.

Lui qui avait précédemment travaillé à la Communauté urbaine de Montréal a admis que là-bas, ça ne fonctionnait pas de telle façon. C’est à la Ville que les cadeaux ont afflué et que le climat de proximité s’est instauré avec les entrepreneurs.

Même après qu’il se soit mis à réclamer des extras à la Ville pour augmenter la marge de profit des entrepreneurs, il a soutenu qu’il aurait été difficile pour un supérieur honnête et rigoureux de le coincer, tant il était devenu habile dans son stratagème.

Interrogé par le commissaire Renaud Lachance, il a admis que même si son supérieur avait voulu le «coincer», parce qu’il aurait soupçonné l’existence de corruption, il lui aurait été difficile de le faire, car il prenait la peine de toujours partir de véritables travaux imprévus réalisés par l’entrepreneur pour gonfler la facture de ces extras. Sans ces véritables travaux imprévus, «je n’avais pas beaucoup d’espace pour faire place à mon imaginaire», a-t-il lancé. «Je ne peux pas inventer des choses.»

Publicité

Comme d’autres témoins avant lui, Luc Leclerc a indiqué que le stratagème de collusion et corruption «était beaucoup plus large que la ville de Montréal» et touchait notamment la couronne Nord et l’Ouest de l’île.

Désinvolte, il était même à l’aise d’énumérer ces cadeaux et cet argent reçus de la part d’entrepreneurs, jusqu’à un jambon, lui qui approuvait les travaux en «extras» aux contrats publics octroyés par la Ville.

Il a toutefois restitué une somme de 90 000 $ aux enquêteurs de la Commission Charbonneau, en demandant qu’elle soit remise à son ancien employeur, la Ville de Montréal.

Avec humour, il a lancé que les entrepreneurs avaient droit au «service du chef» même s’ils ne lui versaient pas de pot-de-vin. Il a trouvé moyen de blaguer à propos d’un gallon de vin maison reçu en cadeau, en lançant «lui, c’était un vrai pot-de-vin».

M. Leclerc a même prétendu qu’il n’était pas si facile que ça de dépenser des milliers de dollars en argent comptant.

Publicité

De même, il a confirmé être allé jouer au golf en République dominicaine avec le parrain de la mafia, Vito Rizzuto, et son collègue ingénieur Gilles Surprenant. Là encore, il a dépeint la situation en riant, décrivant Vito Rizzuto comme «un excellent compagnon de voyage, un excellent golfeur et un gars qui a le sens de l’humour».

Les pots-de-vin reçus ont aussi pris d’autres formes que de l’argent comptant. Par exemple, pas moins de cinq entrepreneurs ont fait des travaux sur sa maison de l’époque, voisine de celle de l’entrepreneur Paolo Catania. Il s’agissait notamment de travaux de bordure, de paysagement ou de dalle de béton.

M. Leclerc a admis que c’est par simple goût du pouvoir et de l’argent qu’il a accepté ces pots-de-vin pendant des années. Il a avoué que lui et son épouse touchaient un revenu suffisant, mais qu’il avait rationnalisé le stratagème dans sa tête en se persuadant que les pots-de-vin étaient une façon d’être reconnu pour le bon travail réalisé.

Au départ, il recevait 15 pour cent de la «plus-value» qu’il apportait au contrat de l’entrepreneur, en convainquant la Ville de lui verser plus d’argent. Mais, lors d’un tournoi de golf avec des entrepreneurs, après quelques verres, il a entendu quelqu’un lancer le chiffre de 25 pour cent. Il a donc résolu de demander à l’avenir 25 pour cent de la «plus-value» qu’il apportait au contrat.

Du même souffle cependant, il a soutenu qu’il n’exigeait pas de l’argent de la part des entrepreneurs et qu’il prenait ce qu’ils voulaient bien lui donner.

Publicité

Il a témoigné du fait qu’à peu près tout le monde était au courant du système de collusion à la Ville de Montréal. Il a même donné l’exemple d’un signaleur sur un chantier de construction qui savait à l’avance sur quel prochain chantier son employeur le dépêcherait, alors que le contrat n’avait officiellement pas encore été octroyé à un entrepreneur.

«Quand c’est rendu que les signaleurs sont au courant, d’après moi les commis à la Ville, les secrétaires, à peu près tout le monde ont entendu parler un jour ou l’autre de ça», a conclu M. Leclerc.

* * *
D’autres reportages de la Presse Canadienne sur les audiences de la Commission Charbonneau.

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur