Commission Charbonneau: Zambito met en cause les plus hauts dirigeants de Montréal

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Publié 02/10/2012 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 21h11 HAE, le 2 octobre 2012.

MONTRÉAL – L’ex-entrepreneur en construction Lino Zambito a pointé du doigt deux anciennes figures en vue de l’administration de la ville de Montréal, mardi, devant la Commission Charbonneau: l’ancien directeur général Robert Abdallah et l’ancien président du comité exécutif Frank Zampino.

M. Zambito a soutenu qu’il s’était fait dire par l’ingénieur Michel Lalonde, du Groupe Séguin, une firme privée de Pointe-aux-Trembles, qu’il devait acheter des tuyaux d’égout au prix exigé et auprès d’une compagnie spécifiée parce que cette entreprise, Tremca, s’était entendue avec M. Abdallah.

Il s’agissait d’un contrat de collecteur d’égout sur la rue Sherbrooke Est, à Montréal, vers 2005, pour lequel son entreprise, Infrabec, avait été le plus bas soumissionnaire.

S’il avait été le plus bas soumissionnaire, a-t-il expliqué, c’est parce qu’il avait prévu non pas acheter des tuyaux d’égout, mais les couler sur place en faisant le coffrage.

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Un ingénieur lui a alors fait comprendre qu’il devait plutôt acheter des tuyaux appelés TBA et fabriqués par Tremca parce que cette entreprise «avait une entente» avec M. Abdallah. «Si je voulais exécuter le contrat, je n’avais pas le choix d’acheter mes tuyaux chez Tremca», a-t-il rapporté.

Quand il a protesté et fait valoir que cela lui coûterait plus cher, il s’est fait dire qu’il allait être compensé pour le supplément qu’il devait débourser pour faire affaires avec Tremca. Il a donc accepté de réaliser le contrat et a été en partie compensé.

«Monsieur Lalonde avait été très clair avec moi. Il a dit: ‘si tu veux que le projet se fasse, les tuyaux doivent être achetés chez Tremca, au prix qui a été déterminé. On va te compenser. Et la différence de 300 000 $, de différence de tuyaux, c’est le montant que les gens de Tremca, monsieur Caron, doit remettre à monsieur Abdallah pour que le projet soit octroyé par la Ville de Montréal’», a affirmé M. Zambito.

M. Abdallah a quitté ses fonctions de directeur général de la ville de Montréal en juin 2006. Il a par ailleurs nié les allégations de M. Zambito.

En milieu de soirée mardi, Génius conseil a émis un bref communiqué de presse dans lequel il nie la version de M. Zambito concernant le rôle joué par Michel Lalonde et le Groupe Séguin dans le cadre du contrat de la Ville de Montréal pour la construction d’un collecteur sur la rue Sherbrooke Est.

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«Génius conseil inc. aura certes l’occasion de donner sa version des événements en temps utile. Génius conseil inc. a l’intention de consulter ses avocats afin d’évaluer la présente situation et ses différents recours», peut-on également lire dans le communiqué.

Une «commande politique»

L’ex-dirigeant d’Infrabec, dont l’entreprise a depuis fait faillite, a également cité aux commissaires un cas de ce qu’il a appelé une «commande politique». Il a plus tard affirmé qu’on lui avait alors parlé de Frank Zampino, l’ancien président du comité exécutif de la Ville de Montréal.

Il s’agissait d’une soumission, en juin 2005, pour démolir le viaduc Notre-Dame_Sherbrooke et construire un carrefour giratoire dans l’arrondissement Rivière-des-Prairies. Cette fois, c’est l’entreprise Simard-Beaudry qui a obtenu le contrat.

«Les entrepreneurs n’étaient pas contents de voir laisser aller ce projet-là à Simard-Beaudry. L’information nous avait été véhiculée qu’il y avait eu une commande politique, que le projet devait aller à Simard-Beaudry Construction», a-t-il dit. Simard-Beaudry est l’une des compagnies qui appartiennent à Tony Accurso.

Plus tard dans la journée, il a précisé que «l’information qui véhiculait chez les entrepreneurs, c’était que la commande politique venait directement de Zampino», a-t-il ajouté. Ce dernier a aussi formellement nié l’allégation.

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Quand le procureur de la commission, Me Denis Gallant, lui a demandé qui avait adressé ce message, M. Zambito n’a pu identifier précisément la personne. «Le message a été envoyé aux entrepreneurs et moi, j’ai eu l’information par des entrepreneurs», a-t-il répliqué.

Durant toute la journée, le procureur de la commission a passé en revue un à un devant M. Zambito la majorité des 70 soumissions qu’Infrabec a déposées à la Ville de Montréal pour divers projets, en 2004, 2005 et 2006, lui demandant à chaque fois si ce contrat lui paraissait avoir été truqué par le cartel des entrepreneurs des égouts.

Plusieurs fois, l’ex-entrepreneur a répondu: «vu les joueurs, ça a été arrangé» ou confirmait que «ça a été truqué».

Pour déterminer si un appel d’offres était ainsi truqué, M. Zambito a dit se baser sur le nom des entreprises de construction, leur nombre au moment du dépôt des soumissions et, surtout, sur la différence entre le montant du cautionnement exigé _ qui représente environ 10 pour cent du montant de l’estimation du contrat par la Ville _ et le montant des soumissions déposées par les entrepreneurs.

La Ville suspend trois employés

Les propos de M. Zambito quant à la corruption généralisée dans l’administration municipale à Montréal ont forcé à la Ville à prendre des mesures disciplinaires à l’endroit de trois de ses employés. Dans un communiqué diffusé mardi en fin de journée, la Ville annonce la suspension administrative avec solde de trois employés qui relèvent de la Direction des infrastructures, le temps que soit menée une enquête interne sur leurs agissements.

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Ces employés sont Yves Themens, Michel Paquette et François Thériault. Ils ont tous été nommés par M. Zambito lors de son témoignage devant la commission.

La Ville dit agir ainsi en raison de «la gravité et de la nature de certaines allégations».

«Afin de respecter la présomption d’innocence des personnes et de faire valoir leurs droits, elles ont été rencontrées séparément et — à leur demande — en présence de leur représentant syndical (pour M. Paquette et M.Thériault) dans le but d’obtenir leur version des faits quant aux allégations et aux événements relatés devant la commission», a précisé la Ville dans son communiqué.

L’enquête interne sera menée par le Service du contrôleur général de la Ville de Montréal.

D’autre part, le parti du maire Gérald Tremblay, Union Montréal, directement mis en cause par Zambito lors de son témoignage de lundi, a dit juger «grotesques» les allégations à l’effet qu’il aurait pu toucher jusqu’à 15 millions $ en commissions secrètes dans le cadre de l’attribution de contrats par la Ville.

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«Il faudra attendre, à la toute fin, le rapport de la commissaire pour connaître toute la vérité», a dit le représentant officiel d’Union Montréal, Marc Deschamps, par voie de communiqué.

«En ce moment, nous entendons des déclarations subjectives basées sur des approximations et des ouï-dire. Il est complètement odieux de prétendre qu’Union Montréal aurait empoché, ni vu ni connu, jusqu’à 15 millions de dollars. Il faut bien mal connaître les lois sur le financement, les activités d’un parti politique et surtout ses besoins financiers réels. Ce que j’entends et ce que je lis ces jours-ci, c’est bien au-delà du bon sens.»

À son avis, Union Montréal «n’a absolument rien à se reprocher».

«Que ce soit le parti ou son chef, je suis sidéré par la facilité avec laquelle on condamne l’un et l’autre en toute absence de preuves. Nous avons tous hâte que la lumière soit faite sur ces allégations», a ajouté M. Deschamps.

Financement des partis provinciaux

En fin de journée, M. Zambito a commencé à aborder les contrats obtenus cette fois du ministère des Transports du Québec. L’ancien entrepreneur a admis qu’il y régnait un tout autre système qu’à Montréal et que les firmes privées de génie «en menaient large» face au ministère.

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«C’est là que ce lien qu’il y avait entre les bureaux d’ingénieurs et les entrepreneurs… On rentre complètement dans la dynamique du financement des partis politiques provinciaux», a-t-il soutenu.

Le commissaire Renaud Lachance, un ancien vérificateur général, lui a demandé bien candidement si les entrepreneurs qui participaient à ce cartel étaient conscients qu’ils «étaient en train de frauder».

«Un moment donné, ça devient une façon de faire», lui a répondu M. Zambito, qui a poursuivi sur sa lancée, en donnant un aperçu de son témoignage des prochains jours.

«Il est important de comprendre aussi les demandes. Là, on est dans la ville de Montréal, mais lorsqu’on va sortir de Montréal et qu’on va aller au ministère des Transports, sur la Couronne Nord, à Laval, vous allez réaliser les demandes politiques qui étaient faites aux entrepreneurs. Oui, les entrepreneurs entretenaient un système qui n’était pas légal, mais je peux vous assurer qu’à d’autres niveaux, il y avait beaucoup de politiciens qui étaient au courant de ce qui se passait et ça faisait leur affaire que ce processus-là avait eu lieu», a poursuivi M. Zambito.

«À Montréal, on a beaucoup identifié le fait que c’était le crime organisé, mais je peux vous dire qu’à certains endroits, le rôle du crime organisé, il était joué par des élus», a-t-il lancé, avant d’être ramené par la commission aux dossiers de la ville de Montréal.

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3% pour le parti du maire

Lundi, Lino Zambito avait affirmé à la Commission Charbonneau que la quote-part de 2,5 pour cent que les entrepreneurs devaient payer au clan Rizzuto avait été haussée une première fois pour financer le parti du maire de Montréal, puis une seconde fois pour payer un ingénieur de la ville.

L’ancien dirigeant d’Infrabec avait témoigné, la semaine dernière, du fait qu’il devait verser à la mafia 2,5 pour cent de la valeur des contrats qu’il obtenait à Montréal.

S’est ajoutée à compter de 2005-2006 une part de 3 pour cent pour le parti politique du maire Gérald Tremblay, Union Montréal, a-t-il soutenu. Il n’a toutefois pu dire à qui, dans l’organisation du parti, cette somme devait être versée. «C’était à l’organisation, aux organisateurs», a-t-il dit.

Ensuite, une autre somme équivalant à 1 pour cent de la valeur des contrats s’est ajoutée à la contribution due, cette fois pour un ingénieur de la ville de Montréal, a témoigné M. Zambito. L’ingénieur en question, qu’il a identifié comme étant Gilles Surprenant, se faisait même surnommer TPS, pour «Taxe pour Surprenant», a noté M. Zambito.

Cet ingénieur aujourd’hui retraité travaillait à la conception des travaux pour lesquels des appels d’offres devaient être lancés. Et, selon le témoignage de M. Zambito, il veillait à augmenter les prix graduellement.

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Il a relaté avoir versé à ce seul ingénieur, sur huit ou 10 ans, «aux alentours de 100 000 $, 200 000 $». Les autres entrepreneurs en faisaient autant, à sa connaissance.

Il a également invité ce fonctionnaire de la ville à un tournoi de golf en 2007 et à d’autres. Il l’a notamment invité au Mexique, dans une villa dont son père était actionnaire.

Il a cité le cas d’un autre ingénieur, surveillant de chantier, Luc Leclerc, à qui il aurait versé «au-dessus de 200 000 $».

Cet ingénieur Leclerc exploitait également un restaurant à Repentigny, auquel M. Zambito a dû se rendre pour discuter. Et il n’était pas le seul entrepreneur. «À ma connaissance, il y en avait un à chaque midi qui était ‘booké’ là. C’était les entrepreneurs qui faisaient vivre le restaurant.»

Le procureur de la commission, Me Denis Gallant, lui a demandé s’il savait que M. Leclerc était voisin, à Brossard, de Frank et Paolo Catania, des Entreprises F. Catania. Oui, a répondu M. Zambito. «Est-ce que c’est à votre connaissance que les Catania auraient payé une partie de cette maison-là?» lui a demandé l’avocat. M. Zambito a dit l’ignorer.

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Les extras

En plus des contributions à payer à la mafia, au parti municipal et à MM. Surprenant et Leclerc, M. Zambito a expliqué qu’il y avait aussi une autre magouille, celle des «extras».

Dans tout contrat public, une somme d’environ 10 pour cent doit être prévue pour les «contingences», c’est-à-dire des imprévus qui peuvent véritablement survenir lors de l’exécution d’un contrat.

Or, lorsque cette enveloppe d’«extras» n’était pas totalement dépensée, après exécution du contrat, il y avait moyen de s’entendre avec l’un des ingénieurs participant au stratagème pour réclamer de faux extras. Les faux extras étaient alors répartis à raison de 75 pour cent pour l’entrepreneur et 25 pour cent pour l’ingénieur, a-t-il relaté.

Et même les vrais extras qui devaient être réclamés comptaient un peu d’inflation, a-t-il fini par admettre.

M. Zambito a laissé entendre que ce sont ces fonctionnaires qui réclamaient des avantages et des sommes d’argent, et non l’inverse. «Ils sont quand même assez à l’aise pour nous approcher et donner l’ouverture», a-t-il confié.

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«Ce sont eux qui s’invitent à venir. Ils sont au courant que votre père a un complexe hôtelier à l’extérieur; ils en ont entendu parler. Ça fait qu’on vous fait la remarque à plusieurs reprises: ‘ça serait l’fun qu’on aille jouer au golf une semaine au Mexique, puis qu’on reste à votre hôtel’. On vous passe le message une fois, on vous le passe deux fois, trois fois. Un moment donné, il faut être en mesure de lire entre les lignes», a résumé M. Zambito.

Il a cité le cas d’un troisième fonctionnaire municipal qu’il avait invité à un tournoi de golf et qui lui donnait en retour la liste de ses concurrents pour un appel d’offres, même si ces informations étaient censées rester confidentielles. Il ne l’a toutefois pas rémunéré.

À tous les échelons

Devant l’énumération de noms de fonctionnaires municipaux qui participaient au système, à un échelon ou à un autre, le commissaire Renaud Lachance a manifesté son étonnement. «Ça ne se jasait pas un peu?» a-t-il demandé au témoin.

M. Zambito a admis que lui-même trouvait «ridicule» que tous les entrepreneurs et fournisseurs le savaient, ainsi que plusieurs personnes à la Ville, mais que ça continuait quand même. «C’était ‘business as usual’. C’était rendu ridicule», a-t-il conclu.

Quand la présidente de la commission, France Charbonneau, lui a demandé s’il croyait qu’à tous les échelons de la ville de Montréal, il y avait des gens corrompus, M. Zambito a été catégorique: «absolument».

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Après avoir exposé ce système à la ville de Montréal, M. Zambito a noté que le système n’était pas le même pour les contrats du ministère des Transports du Québec et de la ville de Laval.

Il a toutefois abordé le cas d’un contrat qu’il a tenté d’obtenir pour le ministère des Transports, au rond-point l’Acadie à Montréal, contre une des entreprises de Tony Accurso, Louisbourg Construction.

N’ayant pu s’entendre avec le vice-président de Louisbourg Construction pour se «tasser» et lui laisser la place, M. Zambito a été «convoqué» à un restaurant de Laval qui appartenait à Tony Accurso. Et c’est Vito Rizzuto lui-même, une des têtes dirigeantes de la mafia, qui est intervenu pour arbitrer le différend entre les deux entrepreneurs qui voulaient décrocher le contrat.

M. Zambito a finalement laissé tomber, mais sans avoir reçu de menaces. «Je vais laisser aller en échange d’un service à venir», avait-il confié au «médiateur» Vito Rizzuto.

Dans un communiqué diffusé lundi soir, M. Accurso a nié les allégations de M. Zambito le concernant.

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Plus précisément, M. Accurso nie avoir eu «quelque différend que ce soit avec M. Zambito relativement à l’attribution de quelque contrat public que ce soit, dont le contrat attribué par le ministère des Transports du Québec concernant le viaduc l’Acadie».

Il nie de plus avoir demandé à Vito Rizzuto «d’intervenir relativement à l’attribution de quelque contrat public que ce soit ou de régler quelque différend que ce soit entre eux».

M. Accurso nie de plus avoir participé «à quelque rencontre que ce soit en compagnie de M. Vito Rizzuto et de M. Lino Zambito».

Site Internet de la Commission Charbonneau

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D’autres reportages de la Presse Canadienne sur les audiences de la Commission Charbonneau.

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