Côtoyer le tap-tap haïtien

Une semaine à Port-au-Prince

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Publié 21/08/2012 par Annik Chalifour

Je reviens d’un petit séjour à Haïti, 35 ans après ma première visite dans la perle des Antilles, comme on l’appelait à l’époque. Mes souvenirs mélangés comprenaient à la fois des images d’extrême pauvreté et de grande beauté, au cœur du régime Duvalier. Certaines traces du séisme de 2010 sont encore présentes, dont le Palais national effondré, les décombres de la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption, les abris de milliers de personnes déplacées.

Pourtant malgré les revers de ces trois décennies, et du pire séisme que Port-au-Prince ait connu il y a deux ans, j’ai retrouvé la Vie, plus forte que tout, contournant la misère.

Comme ces multiples petits marchés à ciel ouvert, improvisés sans relâche au quotidien sous une chaleur torride, rencontrés au détour d’un virage du tap-tap haïtien.

Tout ce qui existe sur cette terre, on le trouve dans la capitale d’Haïti!

Le cri du coq, le chant grégorien, la fumée des chaudrons, les sons d’une fête, le bruit incessant des criquets qui s’élèvent des bidonvilles, côtoient les domaines luxuriants des plus nantis surplombant un paysage gris.

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Au début, j’ai perçu la ville comme une entité homogène, où tout me semblait se confondre en une seule et même couleur de désolation.

Puis les tap-tap, c’est le nom qu’on donne aux taxis collectifs à Port-au-Prince, ont piqué mon imaginaire. Ces œuvres d’art ambulantes qui livrent des messages bibliques pour protéger les voyageurs, me sont apparues comme un signe de l’étonnante vitalité des Haïtiens.

Le Monde au complet

Dans le bus qui nous amenait chaque jour à l’Institut Mère Délia (voir l’article 17 profs de retour d’Haïti dans cette édition), je me suis surprise à redécouvrir Port-au-Prince dans toute sa splendeur. En suivant le parcours des tap-tap, j’ai cru entrevoir le Monde au complet.

Des chèvres maigrichonnes broutant la poussière, des gros porcs noirs en train de se gaver parmi les déchets d’un marché en plein air, un gamin jouant avec une bouteille de plastique transformée en petit camion, un homme sans jambes assis par terre, une jeune femme très enceinte transportant sur sa tête un immense bol rempli de bananes et de papayes, une multitude d’enfants qui ne sont peut-être pas en vacances scolaires, des abris de fortune où squattent des familles nombreuses.

Les feux du trafic à l’heure de pointe 20 heures par jour alimentés par l’énergie solaire, des gens qui cheminent en utilisant leurs cellulaires, des jeunes écoutant la musique du jour, des hommes œuvrant sur plusieurs chantiers de construction, des boutiques de prêts-à-porter et d’accessoires contemporains, des supermarchés climatisés, des restaurants chics perchés sur les monts de Pétionville dotés d’une vue panoramique extraordinaire sur la capitale et ses environs.

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Il m’a semblé apercevoir toute la gamme des émotions humaines sur les mille et un visages croisés lors de nos passages quotidiens à travers Port-au-Prince. De la détresse à la victoire, du dédain au sourire, de la défaite à la résilience, de la résignation à l’autosuffisance.

Port-au-Prince mène partout

Haïti, pays aux mille collines, rend la traversée de sa capitale assez chaotique; on monte et redescend les routes continuellement au milieu d’une circulation intense. Les majestueuses montagnes verdoyantes à l’horizon m’ont fait rêver aux Andes colombiennes que j’ai traversées en 1982.

Notre parcours quotidien aux côtés des tap-tap déambulant parmi les quartiers tantôt démunis tantôt cossus de la ville, a ramené ma pensée vers le Pakistan.

Le tap-tap haïtien ressemble au camion de transport en commun pakistanais. On s’assoit serrés les uns contre les autres, cuisse contre cuisse, flanc contre flanc, épaule contre épaule, sueur contre sueur. Certains passagers s’accrochent autour des véhicules sans s’asseoir.

Je suis allée à Peshawar sur la frontière Afghanistan/Pakistan en 1988; les camions décorés d’images aux couleurs flamboyantes peintes à la main, comme les tap-tap, y affluaient et continuent d’y affluer.

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L’agitation constante de Port-au-Prince, la vie qui grouille sans cesse, les petits commerces poussant dans les ruelles comme des champignons au jour le jour, les odeurs fusionnées, la chaleur folle, l’ordre dans le désordre, m’ont aussi transportée à Lagos, ancienne capitale du Nigéria, où vivent 20 millions d’habitants. J’y étais en 2001.

Nature grandiose

Je ne peux que décrire en quelques lignes ce que j’ai vu durant quelques jours. La vie à Haïti dépasse le rythme urbain acharné de sa capitale. Les habitants du milieu rural jouissent d’une nature exceptionnellement abondante.

Mon bref séjour m’a amenée à Dubuisson, dans la région centrale de l’île, à deux heures de routes sinueuses et escarpées au nord de la capitale; on peut aussi s’y rendre en tap-tap. Les sœurs de l’Immaculée Conception y gèrent une école de campagne desservant les classes de la maternelle au certificat d’études primaires.

Le décor impressionnant de la région me permet de répéter que Tout existe en Haïti: étangs, lacs, rivières, chutes, montages et forêts rivalisent avec la mer.

La population locale vit de façon isolée, coupée du monde extérieur, privée de modes de transport. Les gens sont entourés de monts et collines et survivent grâce aux produits qu’ils cultivent.

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Un rythme de vie tranquille, bercé par l’environnement riche en arbres tropicaux de toutes sortes, amandiers, cocotiers, oliviers, papayers pour n’en citer que quelques-uns.

En allant vers Dubuisson, on traverse la jolie commune de Saut-d’Eau. Le village est devenu un lieu de pèlerinage très fréquenté depuis qu’en 1948, selon une légende répandue, la vierge y aurait fait une apparition.

Chaque année, plusieurs milliers de pèlerins venant d’Haïti, de la République Dominicaine et de la diaspora s’y rendent pour prendre le bain rituel dans les chutes de Saut-d’Eau, censé apporter de la chance.

Haïti, une minorité, qui représente la majorité sur cette terre.

Auteur

  • Annik Chalifour

    Chroniqueuse et journaliste à l-express.ca depuis 2008. Plusieurs reportages réalisés en Haïti sur le tourisme solidaire en appui à l’économie locale durable. Plus de 20 ans d'œuvre humanitaire. Formation de juriste.

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