De plus en plus d’élèves anglophones dans nos écoles françaises

Un phénomène inquiétant

Même dans les écoles françaises, garantir la qualité du français reste un défi. (Illustration: Éric Mazaré)
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Publié 01/05/2017 par Michèle Villegas-Kerlinger

Parmi les parents non-francophones qui décident d’inscrire leur enfant dans une école de langue française, il y a de nombreux anglophones dont l’enfant a fréquenté, ou aurait pu fréquenter, un programme d’immersion.

Le résultat est un plus grand nombre d’élèves anglophones qui quittent les conseils scolaires de langue anglaise pour s’inscrire dans des écoles de langue française.

Qu’est-ce qui motiverait des parents à choisir ces dernières au lieu d’un programme d’immersion, et quel en est l’impact sur les écoles franco-ontariennes?

Avant de considérer les causes et les conséquences de ce phénomène, il faut se rappeler qu’en Ontario, le français est enseigné soit comme langue maternelle, soit comme langue seconde.

Quatre systèmes

Il existe quatre catégories d’écoles dans la province: publiques et catholiques, de langue française et de langue anglaise.

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Les premières offrent tous leurs cours en français depuis la maternelle jusqu’à la 12e année, sauf les cours d’anglais, et la langue française y est enseignée comme langue maternelle.

Quant aux écoles de langue anglaise, elles offrent soit le français cadre (obligatoire de la 4e à la 9e année; facultatif entre les 10e et 12e années), soit le programme d’immersion, tardif ou précoce. Le programme tardif commence généralement à partir de la 4e ou de la 7e année et le précoce à partir de la maternelle selon le conseil scolaire.

Dans ces écoles, le français est enseigné comme langue seconde. S’il s’agit d’un programme tardif, 25% des cours sont en français alors que le programme précoce en exige le double.

En plus des cours de langue, ces programmes offrent plusieurs matières en français dont les mathématiques, les sciences, la technologie, l’éducation physique, les arts, les sciences sociales, l’histoire et la géographie. À l’école secondaire, le nombre de cours en français dans les deux programmes diminue: 10 crédits sur un total de 30.

Cela dit, au moins deux facteurs pourraient expliquer la présence accrue d’élèves anglophones dans les écoles de langue française.

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Écoles inclusives

L’ouverture des écoles de langue française est sans doute pour quelque chose dans le nombre croissant d’enfants anglophones inscrits dans leurs cours.

En 2010, les conseils scolaires franco-ontariens ont décidé d’adopter une politique d’ouverture vis-à-vis les enfants dont les parents n’avaient pas le statut d’ayant-droit. Selon le gouvernement de l’Ontario, les ayants-droit en Ontario sont:

«Un parent (ou tuteur/tutrice) ou un grand-parent qui réside en Ontario, est citoyen canadien, et répond à au moins un des critères suivants :

sa langue maternelle est le français, c’est-à-dire, sa première langue apprise et encore comprise; ou

il ou elle a reçu son instruction au niveau élémentaire dans une institution scolaire de langue française au Canada ; ou

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il ou elle est parent (ou tuteur/tutrice) d’un enfant qui a reçu ou reçoit son instruction, au niveau élémentaire ou secondaire, dans une institution de langue française au Canada.»

Pourtant, ceux qui ne répondent pas à ces critères peuvent soumettre une demande d’admission pour leur enfant à une école de langue française. Un comité d’admission du conseil étudiera la demande et accordera ou refusera l’admission à l’enfant. Si la demande est acceptée, l’enfant non-francophone peut vivre une vraie situation d’immersion en français au lieu du 25% ou du 50% offerts par les programmes d’immersion des conseils scolaires de langue anglaise.

C’est un avantage non-négligeable pour des parents qui veulent que leur enfant soit bilingue. Contrairement à ce que pensent bien des parents anglophones bien intentionnés qui inscrivent leur enfant dans un programme d’immersion, il est très rare que les diplômés de ces programmes atteignent ce niveau compétence de la langue.

Français à la maison

Cette initiative de la part des conseils a connu un si grand succès qu’en 2010-2011, le pourcentage d’élèves de 3e année inscrits dans les écoles franco-ontariennes et qui ne parlaient pas français à la maison était de 37%. En 2014-2015, il avait grimpé à 44%.

Comparativement à cette moyenne provinciale, et toujours pour l’année scolaire 2014-2015, le pourcentage atteignait 41% au Conseil scolaire de district catholique Centre-Sud et 63% au conseil scolaire Viamonde.

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Dans les écoles franco-ontariennes, la présence d’un si grand nombre d’enfants de parents non ayants-droit inquiètent des parents francophones, et pour cause puisque, dans certains cas, les élèves francophones risquent de devenir minoritaires dans leurs propres écoles.

Même si les conseils ont mis sur pied des programmes d’intégration linguistique pour cette nouvelle clientèle, il n’en reste pas moins que la présence d’un si grand nombre d’élèves non-francophones, dont un pourcentage non-négligeable sont des anglophones, représente un défi de taille pour l’administration et les enseignants des écoles qui les accueillent.

De moins bons résultats en lecture, selon les résultats de l’étude internationale PISA, ou le Program for International Student Assessment, n’en sont qu’un exemple.

De moins en moins de profs francos

Depuis quelques années, les programmes d’immersion embauchent de moins en moins de professeurs de langue maternelle française.

En témoigne Marie, enseignante en immersion à Toronto: «Quand j’ai commencé à enseigner à Toronto il y a presque vingt ans, les quinze professeurs en immersion de notre école étaient tous francophones. Aujourd’hui, on est six ou sept tout au plus. Les autres enseignants du programme sont des anglophones. Certains d’entre eux sont d’anciens élèves des programmes d’immersion.»

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Cette enseignante dévouée se souvient de sa propre expérience comme élève dans sa ville natale de Québec: «Nous apprenions un français standard. On faisait des dictées et nous apprenions à épeler en prononçant les syllabes des mots. L’expression orale était importante. Nous faisions des débats, mais nous écrivions beaucoup aussi et on apprenait les règles de grammaire dès la 1re année.»

«Il y avait beaucoup d’exercices, de répétition et de mémorisation. On se servait du dictionnaire illustré Larousse. Bescherelle et Grevisse étaient des noms qui nous étaient très familiers et nos livres de lecture étaient presqu’exclusivement des romans canadiens. Le professeur donnait un cours magistral et il y avait peu de travail en groupe. Par contre, les rubriques n’existaient pas et il n’y avait pas de commentaires de la part de l’enseignant sur nos travaux.»

Travail en groupe

«De nos jours, c’est plutôt le travail en groupe qui est privilégié. Chaque tâche a sa rubrique et les professeurs sont obligés de commenter les travaux des élèves, mais l’apprentissage de la langue dans les écoles au Québec, tout comme dans les programmes d’immersion en Ontario, n’est plus ce qu’elle était.»

Combien d’élèves en Ontario, particulièrement dans les programmes d’immersion, savent de nos jours ce que c’est qu’une dictée ou une préposition? Combien peuvent réciter un texte de mémoire ou organiser et écrire un texte correctement? Combien savent se servir d’un dictionnaire ou lire, comprendre et analyser un roman?

Mais les problèmes des programmes d’immersion ne se limitent pas à la façon dont la langue est enseignée. Les professeurs anglophones qui enseignent le français en immersion veulent que leurs élèves s’expriment en français.

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Pourtant, ils n’hésitent pas à se parler entre eux en anglais à la première occasion qui se présente alors qu’ils auraient tout intérêt à améliorer leur français à l’oral. Nombreux sont les enseignants anglophones en immersion qui disent des choses comme «ça regarde comme» ou «le programme que tu es dans», qui appellent une salle de classe «une chambre», ne savent pas la différence entre «une vacance» et «les vacances» ou sont incapables de prononcer le «u» et disent «bouger» au lieu de «budget».

Ce qui est encore pire, c’est que les élèves apprennent les fautes de leurs professeurs, et ces fautes sont extrêmement difficiles à corriger par la suite. Le fait que certains de ces enseignants décident d’inscrire leur propre enfant dans une école de langue française en dit long sur le peu de confiance qu’ils ont dans le programme dont ils font partie intégrante.

Tests très élémentaires

Chose curieuse, plusieurs conseils scolaires de langue anglaise prétendent qu’ils ont de la difficulté à trouver des enseignants de français qualifiés et ont recours à un système de loterie ou sabrent dans le nombre de cours offerts en français pour limiter la demande.

Pourtant, certains de ces conseils ne recrutent pas activement à l’extérieur de leur propre territoire. D’autres boudent même l’embauche d’un professeur francophone qualifié au profit d’un(e) ancien(ne) élève de leur propre programme d’immersion avec les résultats que l’on sait.

Les tests organisés par de nombreux conseils scolaires pour juger de la qualité du français d’un candidat lors d’une entrevue d’embauche sont, le plus souvent, d’un niveau très élémentaire.

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Malheureusement, le gouvernement provincial ne fait rien pour améliorer la situation. Selon le ministère de l’Éducation de l’Ontario, le cours de FSL, part 1, un cours de qualification additionnelle obligatoire pour tout enseignant de français langue seconde dans la province, est suffisant pour enseigner le français cadre et l’immersion. Pour suivre ce cours, il faut avoir des notions de base de la langue. Pourtant, on penserait qu’un professeur d’immersion aurait besoin d’un niveau de français beaucoup plus élevé qu’un enseignant de français cadre.

Des solutions?

Que faut-il conclure de ces observations? Il est alarmant de constater que l’enseignement du français et la qualité de la langue diminuent au Canada, surtout dans les programmes d’immersion. Mais, faut-il privilégier les cours magistraux au travail en groupe pour autant? Devrait-on se limiter à l’enseignement de la grammaire et à des dictées?

Je ne crois pas qu’un simple retour en arrière soit envisageable ni souhaitable. Dans le cas des conseils scolaires de langue anglaise, ils feraient mieux de recruter des professeurs francophones qui savent tirer le meilleur des méthodologies actuelles sans pour autant rejeter celles du passé qui ont fait leurs preuves.

L’embauche de tels enseignants pour les programmes d’immersion rehausserait la qualité de la langue qu’on y enseigne et la façon dont le français est enseigné. Les professeurs parleraient français entre eux, ce qui montrerait aux élèves que le français n’est pas uniquement une matière limitée à la salle de classe, mais un moyen de communication très efficace lorsqu’on le parle, l’écrit et le comprend bien.

Damien qui?

En plus de la langue, ces professeurs francophones pourraient partager leur culture avec les élèves, un atout non négligeable dont un grand nombre d’enseignants anglophones dans les programmes d’immersion sont trop souvent dépourvus.

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S’ils ont écouté chanter Céline Dion ou vu le Cirque du Soleil, mangé une crêpe ou visité Paris, il est rare que ces enseignants aient entendu parler de Damien Robitaille, de la semaine de la francophonie, du drapeau franco-ontarien ou du Règlement 17. Et, ce qui est encore pire, certains d’entre eux ne s’y intéressent pas vraiment.

Sans l’embauche de professeurs francophones qualifiés par les conseils scolaires de langue anglaise ni le resserrement des critères d’admissibilité par les conseils de langue française, l’exode des élèves anglophones qui étaient, ou auraient pu être, inscrits dans un programme d’immersion risque de s’intensifier au cours des prochaines années. Des parents anglophones, déçus des résultats des programmes d’immersion, opteront pour les conseils scolaires franco-ontariens qui verront de plus en plus de ces élèves sur les bancs de leurs écoles.

Enfin, un meilleur recrutement auprès des francophones de la province est également nécessaire, puisqu’un certain nombre décident, de leur côté, d’inscrire leur enfant dans une école de langue anglaise.

Auteur

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

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