Philippe Chancel dévoile une Corée du Nord inconnue du public

Arirang, entre fascination et horreur

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 01/05/2012 par Nourhane Bouznif

Régime communiste totalitaire, la Corée du Nord (officiellement République populaire démocratique de Corée) n’a pas fini d’intriguer le reste du monde par sa fermeture, sa propagande omniprésente ou encore son culte voué à Kim II-sung et ses descendants. En 2006, le photographe français Philippe Chancel a obtenu l’autorisation d’y entrer et en a rapporté de nombreux clichés, qui témoignent d’une réalité troublante. Parmi ses photos, une série prise pendant Arirang, gigantesque spectacle à la gloire du pays.

Exposés au musée d’art contemporain canadien jusqu’au 3 juin dans le cadre du festival de photographie Contact de Scotiabank, les clichés de Philippe Chancel font partie de l’exposition «Identité collective», qui rassemble des travaux de sept photographes.

Un choix professionnel

Ses images en grand format montrent différents passages du spectacle populaire nord-coréen Arirang, qui tire son nom d’une chanson traditionnelle coréenne.

Le spectacle, célébrant le parti, a généralement lieu tous les ans au stade du 1er mai de Pyongyang et fait intervenir des milliers de danseurs et gymnastes.

Pendant trois heures, les chorégraphies s’enchaînent sans temps mort. Des figures impressionnantes sont effectuées avec une précision irréprochable, mettant en scène l’histoire du pays, de ses origines à nos jours.

Publicité

En arrière-plan, des milliers d’enfants créent une immense mosaïque humaine, faisant apparaître des images de propagandes grâce à des cartons de couleurs, comme des pixels géants. Près de 120 000 personnes assistent au spectacle, assises dans les gradins, ainsi que des dizaines de télévisions venues de l’étranger.

«L’idée d’aller en Corée trouve sa logique dans mon parcours», peut-on lire sur le site internet du photographe, qui vit et travaille à Paris.

Plus jeune, Philippe Chancel portait un intérêt particulier aux pays du bloc communiste, notamment pour leur herméticité et les difficultés à accéder à la réalité des conditions de vie.

Dans les années 80, son travail le mène en URSS, en Pologne et en Roumanie pour y effectuer des commandes de clients. Les années passent et il s’éloigne de la photographie de reportage.

Sa pratique et sa conception de la photographie évoluent, mais dans un coin de sa tête reste une «envie [se] confronter une fois encore à la dimension idéologique et hérétique d’un pays communiste».

Publicité

Avant même son arrivée en Corée du Nord, Philippe Chancel décide de ne pas chercher à faire de photos volées, mais au contraire de respecter les règles qui lui sont fixées, afin de montrer la réalité du quotidien.

Une perfection effrayante

Pour ses photographies de Arirang, le choix du point de vue nécessite une attention particulière. L’idée pour Philippe Chancel est de rendre compte de l’effet de masse créé par la mise en scène du spectacle. L’artiste choisit de se placer au centre des gradins, juste sous le siège occupé à l’époque par Kim Jong-Il.

Il opte pour un objectif grand-angle, afin de retranscrire l’impression d’irréalité qui le traverse alors. Les photographies réalisées sont troublantes, le spectateur se retrouve face à une manifestation à la fois grandiose et terrifiante, symbole de l’idéologie nord-coréenne.

Les danseurs forment des motifs d’arabesques symétriques et de lignes parfaites, comme une armée.

«C’est un genre de perfection qui n’est pas humaine», commente le photographe. Les gymnastes s’entraînent pendant des mois pour les quelques représentations annuelles d’Arirang.

Publicité

«On se demande: est-ce que c’est bien? Est-ce que c’est mal? Est-ce un rêve ou un cauchemar?», ajoute Philippe Chancel. La réaction du spectateur dépendra de sa culture de référence.

Un œil occidental qui a conscience de l’endoctrinement subi par le peuple nord-coréen y verra sans doute un immense ballet propagandiste, qui affirme la suprématie du régime. Pourtant selon Philippe Chancel, qui a assisté au spectacle à deux reprises, on ne peut s’empêcher d’être séduit et ébloui par la perfection des chorégraphies.

Soft power

«Personne ne sait qui se cache derrière ces chorégraphies», explique Philippe Chancel. Le peuple est considéré en tant que masse, l’individu disparaissant au profit du collectif.

L’artiste oppose ainsi le star system occidental à l’idéologie communiste du régime. Il cite par ailleurs le concept de soft power qui décrit comment un acteur peut en influencer un autre en usant de moyens tels que le divertissement ou la culture.

Publicité

Ainsi fait-il le rapprochement entre certains aspects de Disneyland et la Corée du Nord qui véhiculent l’utopie d’un monde idéal mais extrêmement contrôlé, orchestré et où tout est mis en scène. Le divertissement devient ainsi une manière d’affirmer son pouvoir et de remporter l’adhésion de la population.

Après avoir travaillé sur d’autres projets pendant plusieurs années, Philippe Chancel est retourné en Corée du Nord au début du mois d’avril et a pu constater des changements opérés depuis six ans.

«Le pays semble être sorti de la récession», commente-t-il. Depuis sa première visite, de nouveaux bâtiments ont vu le jour dans la capitale, comme un centre commercial avec des produits importés. Dans les rues, les vieilles Mercedes ont laissé place à des berlines flambant neuves.

«Les gens ont l’air de mieux se porter», ajoute Philippe Chancel. Le photographe aimerait à présent réaliser une exposition de ses clichés en Corée du Nord, afin de montrer sa vision d’artiste occidental aux habitants.
Une envie qui semble prendre forme, peu à peu, à force de discussion avec les autorités. «Mon travail retourne à sa source», sourit-il.

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur