MacKay connaissait le coût réel des F-35

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Publié 03/04/2012 par Mike Blanchfield (La Presse Canadienne)

à 13h24 HAE, le 8 avril 2012.

OTTAWA – Le ministre de la Défense, Peter MacKay, savait depuis deux ans que le coût pour l’achat des nouveaux chasseurs F-35 s’élèverait à près de 25 milliards $.

M. MacKay l’a confirmé lui-même à l’émission Question Period du réseau CTV.

Le gouvernement conservateur maintenait que l’achat de 65 appareils ne dépasserait pas les 15 milliards $. Le ministre attribue cette somme supplémentaire à de nouveaux éléments comptables qui incluent le salaire des pilotes, l’approvisionnement en carburant et les frais d’entretien de l’actuelle flotte de chasseurs CF-18.

«On me l’a expliqué précisément de cette façon, à savoir que les 10 milliards $ additionnels étaient une somme que vous pourriez qualifier de coûts irrécupérables, c’est ce que nous payons pour notre personnel, le carburant pour les CF-18 et celui des avions de chasse, les frais de maintenance, ce que nous dépensons à l’heure actuelle. Cela ne fait donc pas partie d’une nouvelle acquisition», a souligné le ministre MacKay.

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Le vérificateur général Michael Ferguson a publié un rapport cinglant, la semaine dernière, reprochant vivement aux autorités militaires d’avoir tu aux parlementaires le vrai coût de l’achat des F-35. Il a estimé que la facture du projet devrait friser les 25 milliards $.

M. Ferguson a également laissé entendre que les ministres fédéraux auraient dû savoir que le véritable coût d’achat des nouveaux chasseurs était beaucoup plus élevé que les montants discutés publiquement.

Le gouvernement de Stephen Harper a essuyé des attaques en règles de la part de l’opposition la semaine dernière, notamment avec des appels à la démission de certains ministres. Le ministre MacKay a toutefois dit que cette controverse ne l’amènera pas à démissionner.

«Cet argent n’a pas été dépensé. L’argent ne s’est évaporé», a-t-il ajouté.

Des députés de l’opposition ayant été interviewés lors de la même émission ont rejeté du revers de la main les explications du ministre de la Défense.

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Le néo-démocrate et porte-parole du parti en matière de défense, Jack Harris, a accusé le gouvernement d’avoir délibérément induit en erreur les Canadiens sur la véritable facture à prévoir pour les F-35, notamment pendant la récente campagne électorale. «Ils ne peuvent pas s’en débarrasser, cette histoire va les hanter», a lancé M. Harris.

Le député libéral Ralph Goodale a abondé dans le même sens. «L’explication de M. MacKay ne tient pas la route. Et très franchement, cette affaire ne s’arrête pas au ministre. Le problème relève du premier ministre. C’est le premier ministre qui connaissait chacun des détails de ce dossier.»

Le vérificateur général

Dans son tout premier rapport très attendu déposé mardi dernier, le nouveau vérificateur général déplore que la Défense nationale n’ait pas fait preuve «de la diligence nécessaire pour un engagement de 25 milliards $».

Répondant au rapport, le gouvernement a indiqué que l’enveloppe de financement pour l’acquisition des F-35 sera gelée.

Il a aussi promis une série de mesures qui feront en sorte, selon lui, que le processus d’acquisition des avions soit plus exhaustif et transparent, afin que les citoyens soient mieux informés des options et des coûts.

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Car bien que le gouvernement se soit engagé à remplacer ses avions CF-18, bientôt arrivés à leur fin de vie utile, ses démarches faites jusqu’à maintenant pour les remplacer comportent «des faiblesses importantes», a relevé M. Ferguson.

D’abord, l’évaluation du prix.

Le budget d’acquisition des 65 aéronefs F-35 est évalué à 9 milliards $, alors que celui du maintien en service frise les 16 milliards $. Il n’existe cependant aucune documentation qui pourrait venir soutenir ce dernier chiffre.

Les coûts d’éventuels avions de remplacement ne figurent pas non plus dans les livres du gouvernement — alors que la Défense nationale sait qu’elle en perdra inévitablement—, ni les coûts des armes dont ils seront équipés ou ceux de futures mises à niveau.

M. Ferguson indique par ailleurs qu’alors que la durée de vie des avions atteint 36 ans, le gouvernement n’a estimé les coûts de son cycle de vie que pour 20 ans. Les frais associés à 16 années de fonctionnement et d’entretien font donc défaut dans la colonne des dépenses du gouvernement.

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D’autre part, les retombées pour l’industrie canadienne, même si elles sont potentiellement nombreuses, ne sont aucunement assurées, prévient le vérificateur. Les estimations du gouvernement ne sont fondées que sur des hypothèses et n’ont d’ailleurs pas fait l’objet de validation indépendante.

Il s’agit là pourtant d’un des arguments principaux du gouvernement conservateur dans la promotion des F-35.

Pas de concurrence

Des lacunes majeures sont également relevées dans le processus d’achat de ces fameux chasseurs.

Dès 2006, quand il s’est engagé dans la troisième phase du programme d’avions de combat interarmées (JSF), la Défense aurait dû s’assurer que l’avion F-35 convenait au Canada. Mais la décision d’aller de l’avant a été prise «sans les approbations nécessaires ou la documentation à l’appui».

Et en 2010, quand le gouvernement a officialisé sa décision d’aller de l’avant avec les F-35, le pays était à un tel point engagé dans le développement du nouvel aéronef qu’il était «trop tard pour lancer un processus concurrentiel équitable».

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M. Ferguson a enfin de «sérieuses réserves quant à l’exhaustivité des renseignements sur les coûts fournis aux parlementaires». Selon lui, la Défense nationale savait que les coûts associés aux F-35 allaient très probablement augmenter, mais elle est restée silencieuse sur ce point devant les députés.

Il recommande au gouvernement de Stephen Harper de préciser l’ensemble des coûts du cycle de vie des avions de combat, ce à quoi le ministère s’est engagé.

La Défense promet des mises à jour

La Défense nationale promet ainsi de donner des mises à jour annuelles au Parlement et à offrir des briefings techniques sur les coûts. Ce ministère devra aussi continuer à «évaluer les options» permettant de maintenir les capacités des Forces canadiennes en matière d’avions de chasse, sans toutefois offrir plus de détails sur les options envisagées.

Dans l’intervalle, «le financement demeurera gelé et le Canada n’achètera aucun nouvel avion avant que l’exercice de diligence, de supervision et de transparence soit mis en application dans le processus de remplacement de la flotte vieillissante des CF-18 des Forces canadiennes », a déclaré pour sa part la ministre des Travaux publics, Rona Ambrose, dans un communiqué.

Le gouvernement établira aussi un secrétariat du F-35, qui aura un rôle de coordination pendant qu’il fait des démarches pour remplacer la flotte des CF-18.

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Une étude indépendante des hypothèses de la Défense nationale pour l’acquisition et le maintien ainsi des coûts potentiels du F-35 sera faite, et rendue publique, a insisté le gouvernement dans un communiqué.

Points saillants

Voici les points saillants du rapport du vérificateur général, Michael Ferguson, déposé mardi à la Chambre des communes:

— La Défense nationale n’a pas informé le Parlement des coûts exhaustifs des nouveaux avions de combat F-35, n’a pas fait preuve de la diligence nécessaire pour un tel achat, et est allée de l’avant sans les autorisations nécessaires.

— L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a permis l’entrée au pays d’instruments médicaux interdits et d’autres produits liés à la santé, surtout parce qu’elle n’a pas communiqué de façon appropriée avec Santé Canada.

— L’Agence du revenu du Canada pourrait faire mieux dans l’identification des Canadiens qui ne paient pas leurs taxes et impôts.

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— Transport Canada ne cible pas de façon appropriée les compagnies aériennes qui représentent des risques pour la sécurité.

Rae demande la démission de Harper

Le premier ministre Stephen Harper est le seul et unique responsable du fiasco des chasseurs F-35, et il doit démissionner, estime le chef intérimaire du Parti libéral du Canada, Bob Rae.

M. Harper a «menti» aux Canadiens durant les élections fédérales de mai dernier concernant l’existence de protections contractuelles contre l’escalade des coûts dans le remplacement de la flotte des aéronefs F-35, a accusé M. Rae, mercredi.

Et Stephen Harper a délibérément induit en erreur les députés du Parlement, a-t-il renchéri.

Plaider l’ignorance dans ce dossier ne colle pas à la personnalité de M. Harper, a lancé Bob Rae, en faisant référence au contrôle maniaque qu’exerce Stephen Harper sur tous les rouages des activités gouvernementales.

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Le chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair, a de son côté soutenu mercredi qu’il était encore trop tôt pour exiger la démission du premier ministre Harper. Il a ajouté qu’au final, le véritable responsable du fouillis des F-35 était le ministre de la Défense, Peter MacKay, refusant toutefois d’exiger sa tête.

M. Rae a par ailleurs rappelé qu’à Ottawa comme aux États-Unis, les rapports faisant état d’une explosion des coûts des appareils ont été nombreux. Le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, de même que le Bureau américain du Congrès pour le budget (CBO), ont calculé que la facture dépasserait de loin les 9 milliards $ avancés par le gouvernement de Stephen Harper.

Le gouvernement conservateur n’a pas tardé à répliquer au dépôt du rapport de M. Ferguson, mardi, annonçant notamment que des mises à jour annuelles sur l’état du programme seraient fournies au Parlement. Le ministère de la Défense léguera par ailleurs la responsabilité du dossier à celui des Travaux publics, a indiqué Ottawa.

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