La «génération perdue» menace le tissu social en Espagne

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Publié 15/03/2012 par Alan Clendenning et Harold Heckle (The Associated Press)

à 18h40 HAE, le 15 mars 2012.

MADRID – Certains l’appellent «la génération perdue»: près de la moitié des Espagnols âgés de 16 à 24 ans sont au chômage, soit le niveau le plus élevé des 17 pays de la zone euro. Ce phénomène menace de dénaturer le tissu social de l’Espagne pour les années à venir, étouffant les rêves de toute une jeunesse, mettant à rude épreuve les structures familiales et érodant le bien-être d’une population vieillissante.

Daniel Lorente, 21 ans, a travaillé dans le secteur du bâtiment et a fait cuire des hamburgers chez McDonald’s. Il a été portier, moniteur dans des centres de loisirs et a fait du télémarketing. Mais il n’est jamais resté plus de sept mois dans ces emplois à temps partiel. Chaque fois, il a été licencié, dans un contexte de crise économique d’une gravité sans précédent en Espagne.

«Comment je vais faire si je n’ai pas un emploi stable, pour payer un emprunt, par exemple?» s’interroge-t-il. «Ou pour un mariage, ou pour tout ce qui demande de grosses dépenses? On ne peut aller nulle part.»

Il fait partie de cette «génération perdue» de jeunes sans emploi, dont les perspectives d’avenir ne sont guère brillantes. Au total, 48,6 pour cent des 16-24 ans et 39 pour cent des 20-29 ans sont au chômage en Espagne, ce qui a des conséquences terribles pour un pays qui a connu des années de prospérité il n’y a pas si longtemps, jusqu’à l’effondrement du marché de l’immobilier en 2008.

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«Cela menace tout l’État providence», observe Gayle Allard, spécialiste du marché du travail à l’IE Business School de Madrid. «Les jeunes gens qui arrivent sur le marché maintenant sont la génération perdue. Ils perdent l’avantage de leur jeunesse et l’énergie, et cela ne revient pas.»

Les quelque 1,6 million de jeunes chômeurs, dans ce pays de 47 millions d’habitants, risquent de ne jamais connaître un début de carrière prometteur. Ils ne pourront sans doute pas devenir propriétaires avant la quarantaine. Et ensuite, ils risquent de devoir payer plus d’impôts que leurs aînés pour maintenir le système de protection sociale du pays.

En outre, ils risquent d’être découragés d’avoir des enfants, ou d’en avoir moins que leurs parents, réduisant un peu plus un taux de natalité déjà sur le déclin, alors que l’importante génération du baby-boom d’Espagne commence à partir à la retraite. Cela signifie moins de gens pour absorber les coûts en matière de santé pour les retraités, de plus en plus nombreux.

«C’est un gâchis historique», estime Gayle Allard. «L’économie n’a pas été transformée en une économie plus productive, même si tous ces jeunes travailleurs instruits étaient disponibles pour ça. Je ne serais pas surpris si, finalement, ils se rebellaient contre le fardeau des impôts.»

La colère et la frustration sont des sentiments déjà bien enracinés chez les jeunes adultes. Plusieurs milliers d’entre eux ont érigé des campements au printemps et à l’été dernier à Madrid et à Barcelone, dressant illégalement des tentes sur les places centrales de ces villes dans le cadre du «mouvement des indignés». La semaine dernière, des incidents se sont produits quand des étudiants protestant contre les restrictions budgétaires à Valence ont affronté la police antiémeute, provoquant des manifestations nationales contre les brutalités présumées de la police.

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Certains craignent que la démocratie espagnole, relativement jeune puisqu’elle a vu le jour en 1978 après des décennies de dictature, soit menacée si une génération entière finit par être convaincue qu’elle n’atteindra jamais le niveau de vie de ses parents.

«Le principal risque pour le pays, c’est que nous perdions une génération qui s’en irait, et que les jeunes qui restent aient un niveau d’études moindre, condamnant l’Espagne à la crise pendant des années», s’inquiète Ricardo Ibarra, 27 ans, président du Conseil espagnol de la jeunesse (CJE), qui représente des mouvements de jeunes adultes. «D’ici dix ans, le populisme pourrait remplacer la démocratie, et nous ne pouvons pas gaspiller notre démocratie et la jeter», ajoute-t-il.

L’an dernier, pour la première fois depuis une décennie, l’Espagne a vu plus de gens la quitter que d’étrangers s’y installer. Selon l’Institut national des statistiques, 418 000 personnes sont venues s’installer en Espagne, alors que 508 000 personnes en sont parties.

Ricardo Ibarra explique que sa soeur, qui travaille dans une banque, gagnait 18 000 euros par an en Espagne. Elle a trouvé un nouvel emploi plus agréable dans une banque en Suisse, où elle est désormais payée plus de 60 000 euros par an. Un autre ami de Ricardo Ibarra qui travaillait dans l’informatique est aujourd’hui barman en Écosse. «Il y a un sentiment de plus en plus répandu dans notre pays: si vous voulez une bonne vie, vous devez partir», déplore-t-il.

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