Emplois fictifs à Paris: Chirac condamné

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Publié 15/12/2011 par Pierre-Antoine Souchard et Ingrid Rousseau (AP)

à 18h25 HNE, le 15 décembre 2011.

PARIS – L’ancien président français Jacques Chirac, 79 ans, aura eu jeudi le triste privilège d’être le premier chef d’État de la Ve République à être condamné pour des faits antérieurs à son accession à l’Élysée. Dans la soirée, M. Chirac a annoncé qu’il ne ferait pas appel de cette décision qu’il «conteste catégoriquement».

Le tribunal correctionnel de Paris l’a en effet condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis dans l’affaire dite des emplois fictifs de la Ville de Paris remontant à l’époque où il était maire de la capitale et président du Rassemblement pour la République (RPR).

Durant son mandat présidentiel, de 1995 à 2007, M. Chirac a bénéficié d’une immunité liée à sa fonction.

«J’ai conscience aussi que ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement l’honneur d’un homme, mais la dignité de la fonction présidentielle que j’ai assumée depuis», écrit l’ancien président dans un communiqué.

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«Et je crois qu’aujourd’hui, le respect de nos institutions exige que l’apaisement vienne», a-t-il affirmé, en ajoutant «avec honneur: aucune faute ne saurait m’être reprochée».

Ce jugement sévère est un camouflet tant pour sa défense que pour le ministère public qui avaient demandé sa relaxe. M. Chirac, qui souffre de sévères troubles de la mémoire, a pris «avec sérénité» cette condamnation, a déclaré sur RTL l’un de ses avocats, Me Jean Veil.

«Le dossier et les débats ont établi que Jacques Chirac a été l’initiateur et l’auteur principal des délits d’abus de confiance, détournements de fonds public, ingérence et prise illégale d’intérêts», relève le jugement.

Sur les 28 emplois présumés fictifs qui lui étaient reprochés, le tribunal l’a condamné pour 19 «totalement ou partiellement fictifs». M. Chirac est «effectivement satisfait que, à tout le moins, le tribunal reconnaisse qu’il n’y a eu aucun enrichissement personnel», a poursuivi Me Veil.

En ayant recours à ces emplois fictifs, M. Chirac «a manqué à la probité qui pèse (sur les élus), cela au mépris de l’intérêt général des Parisiens», assène le tribunal.

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M. Chirac était poursuivi en sa double qualité de maire de Paris (1977-1995) et président du défunt RPR dans deux affaires d’emplois présumés fictifs, l’une instruite à Paris, l’autre à Nanterre dans laquelle il était le seul prévenu.

Il lui était reproché d’avoir avalisé des contrats de personnes salariées par la Ville de Paris travaillant pour le compte du parti gaulliste ou ayant bénéficié d’un emploi de complaisance. Il avait toujours dénié l’existence d’un système.

Sa culpabilité résulte «de pratiques pérennes et réitérées qui lui sont personnellement imputables et dont le développement a été grandement favorisé par une parfaite connaissance des rouages de la municipalité», poursuit le jugement.

Le tribunal, dans son jugement, n’a pas manqué de relever les «connexions» entre la municipalité et le parti de M. Chirac qui a réalisé de substantielles économies de salaires.

Dans l’appréciation de la peine de deux ans avec sursis, le tribunal a pris en compte que M. Chirac ne s’était pas enrichi personnellement, son âge, son état de santé actuel qui ne cesse de se dégrader et ses «éminentes responsabilités».

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Le tribunal a relaxé l’un des directeurs de cabinet de M. Chirac, Michel Roussin. Il a reconnu coupable mais dispensé de peine l’ancien patron de Force ouvrière, Marc Blondel, qui avait bénéficié d’un chauffeur payé par la Ville de Paris.

Un petit-fils du général de Gaulle, père de la Ve République, a été condamné pour avoir eu à sa disposition un chargé de mission alors qu’il était député.

L’UMP et Jacques Chirac ont remboursé à la Ville de Paris 2,2 millions d’euros, somme correspondant aux 28 salaires des emplois litigieux retenus dans la prévention. Un remboursement qui n’était en rien une reconnaissance de culpabilité, selon la défense de M. Chirac. Le tribunal a fixé à 1,4 million les salaires versés au 19 emplois pour lesquels M. Chirac a été condamné.

La Ville s’est désistée de sa constitution de partie civile. L’association anti-corruption Anticor, qui s’était constituée partie civile à l’audience, a été déboutée.

«C’est un message fort qui a été pris aujourd’hui par le tribunal, c’est un message donné à l’ensemble des hommes politiques, a déclaré Jérôme Karsenti, l’avocat d’Anticor. C’est aussi la preuve d’une démocratie mature, transparente, qui arrive aujourd’hui à faire le tri et à juger un ancien président de la République.»

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L’affaire de Nanterre a valu en 2004 à Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, et à l’époque des faits maire-adjoint et secrétaire général du RPR, une condamnation à 14 mois avec sursis et un an d’inéligibilité.

Réactions sur la scène politique

À l’annonce de la condamnation jeudi de Jacques Chirac, la gauche réclame une révision du statut pénal de président de la République, tandis qu’à droite, plusieurs personnalités ont fait part de leur émotion.

– A GAUCHE:

– François Hollande, candidat socialiste à la présidentielle, en marge d’une visite à Bondy (Seine-Saint-Denis):

« La justice est passée et elle devait passer, pour que ne s’installe pas un sentiment d’impunité. Elle est passée, mais avec tellement de retard par rapport aux faits qui ont été condamnés. »

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M. Hollande a ajouté avoir « une pensée pour l’homme, Jacques Chirac ».

– André Vallini, chargé de la justice dans l’équipe de François Hollande, dans un communiqué:

« La condamnation de Jacques Chirac vient sanctionner un système illégal et il fallait que la justice passe, car la loi doit être la même pour tous. Pour autant, cette décision est bien tardive et pose le problème du statut pénal du chef de l’Etat qu’il faudra réformer pour en finir avec l’impunité et l’irresponsabilité présidentielles. »

– Benoît Hamon, porte-parole du PS, sur BFM TV:

« C’est une bonne nouvelle pour la démocratie française et la parfaite indépendance de la justice dans un dossier pas très simple, sensible sur le plan politique. (…) Deux ans avec sursis ce n’est pas rien, c’est une condamnation importante. »

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– Arnaud Montebourg, député (PS) de Saône-et-Loire, dans un communiqué:

La condamnation de Jacques Chirac est « un soulagement pour tous ceux qui se sont battus contre l’impunité présidentielle, maladie chronique et dangereuse du régime de la Ve République ». Elle « servira d’avertissement sérieux à celui (…) qui serait enclin à abuser d’une fonction qui n’est plus désormais au dessus des lois de la République ».

– Bertrand Delanoë, maire (PS) de Paris depuis 2001, dans un communiqué:

« La décision de justice (…) vient reconnaître le fondement de la démarche engagée par la municipalité depuis 2001 pour obtenir la reconnaissance et la réparation des fautes commises contre les intérêts de la collectivité et des Parisiens. »

– Eva Joly, candidate d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) à l’élection présidentielle, dans un communiqué:

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« Ce jugement rendu après un véritable marathon judiciaire est la preuve de la nécessité et de l’utilité d’une justice indépendante et qui juge à égalité l’ensemble des citoyens. On ne peut que regretter le retard pris pour instruire ce jugement. » Eva Joly rappelle qu’elle avait présenté il y a quelques semaines avec les députés EELV une proposition de loi visant à réformer le statut pénal du chef de l’Etat.

Sur son compte Twitter, elle invite Jacques Chirac à « tirer les conséquences de sa condamnation et de fait, à démissionner du Conseil constitutionnel ».

– A DROITE:

– Nicolas Sarkozy, président de la République, dans un communiqué diffusé par l’Elysée:

« Le président de la République a pris acte de la décision de justice qui vient d’être prise à l’encontre du président Jacques Chirac. Il ne lui appartient pas de la commenter.

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Ces circonstances ne doivent pas faire oublier l’engagement constant de Jacques Chirac au service de la France, ce qui lui vaut et lui vaudra encore l’estime des Français ».

– François Fillon, Premier ministre, en marge d’un déplacement au Brésil:

« Je n’ai pas l’habitude de commenter des décisions de justice, je pense simplement que celle-ci arrive vraiment trop tard, plus de 20 ans après les faits. »

« C’est une décision qui à mon sens ne viendra pas altérer la relation personnelle qui existe entre les Français et Jacques Chirac. »

– Benoist Apparu, secrétaire d’Etat au Logement, sur France-Info, a exprimé « beaucoup de tristesse parce que Jacques Chirac a rendu d’immenses services au pays ».

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« Même si évidemment, il n’y a pas lieu de commenter une décision de justice, la justice est passée, elle a joué son rôle (…) c’est vrai que j’ai ce petit regret de voir un ancien président de la République, qui a rendu de si grands services, condamné à la fin de sa carrière ».

– Jean-Louis Borloo, président du Parti radical, ministre de Jacques Chirac entre 2002 et 2007, s’est dit « touché » à « titre personnel », sur RFI et France-24.

« Ça prouve que notre République, notre démocratie fonctionne, que la justice s’applique à tous », a-t-il souligné. M. Borloo a jugé « délicat » de réviser l’immunité du chef de l’Etat en exercice. « C’est un problème d’équilibre. Est-ce que on peut avoir un président soumis à des pressions, erreurs judiciaires dans l’exercice de ses fonctions? », s’est-il interrogé.

– Eric Raoult, député UMP de Seine-Saint-Denis, ancien ministre de Jacques Chirac entre 1995 et 1997, sur i>télé:

« Aujourd’hui, j’ai honte pour la justice de mon pays. Je vois ce qui se passe à Bobigny tous les jours, où on libère des délinquants, où on libère des voyous. Dans un pays comme le nôtre, on ne doit pas condamner Jacques Chirac. »

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– Jacques Le Guen, député UMP du Finistère, s’est dit « abasourdi » par la décision du tribunal, sur BFM TV:

« Je pensais qu’on allait vers la relaxe parce que les faits reprochés correspondent à des événements anciens qui n’ont plus aucun intérêt. On reproche au président Jacques Chirac des emplois fictifs qui existaient dans tous les partis politiques, alors attaquer ensuite en justice un homme qui a rendu service à la France, je trouve ça désolant. »

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