L’avenir de l’humanité passe par le métissage

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Publié 27/06/2006 par Paul-François Sylvestre

Vous êtes nombreux à savoir que j’affectionne les romans historiques, que j’ai adoré Défenses légitimes, de Doric Germain, Lady Cartier, de Micheline Lachance, et Les demoiselles aux allumettes, de Marie-Paule Villeneuve.

J’ai été fort bien servi, il y a quelques semaines, par Rendez-vous à l’Étoile, de Richard Hétu. C’est tout le Québec de l’après-guerre qui y est dépeint avec éclat, c’est le fameux mythe de «la Grande Noirceur» qui vole en éclat.

Correspondant de La Presse à New York depuis 1994, Richard Hétu aime revisiter la petite et la grande histoire, surtout celle qui mérite d’être nuancée. En 2002, il publiait La Route de l’Ouest, un roman qui a ni plus ni moins dépoussiéré le rôle méconnu des Canadiens français dans la découverte de l’Ouest américain.

Avec Rendez-vous à l’Étoile, il nous plonge dans le Québec de Maurice Duplessis. C’est de toute évidence une province où les évêques mangent dans la main du «cheuf» et où le premier ministre fait voter une loi interdisant les permis d’alcool aux Noirs, aux Chinois et aux Juifs. C’est une époque où des jeunes hommes s’enrôlent dans l’armée juste pour «sacrer leur camp du Québec (car) on étouffe dans cette maudite province d’attardés».

Le Québec que décrit Richard Hétu demeure surtout celui d’une société somme toute minoritaire qui croit fermement que «l’avenir de l’humanité passe par le métissage!» L’auteur a eu l’idée d’écrire cette page d’histoire après avoir découvert le roman Les Canadiens errants, de Jean Vaillancourt, publié en 1954.

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Le protagoniste de Rendez-vous à l’Étoile est Israël Pagé, un homme qui, à l’instar de Jean Vaillancourt, a vénéré Beethoven et admiré Hemingway, a travaillé à La Presse et a fréquenté le poète Gaston Miron. Le titre du roman a d’ailleurs coiffé un texte de Miron publié dans La Presse quelques jours après la mort de Jean Vaillancourt, en 1961.

Dès le début du roman, on voit le collégien Israël Pagé qui refuse de se confesser, qui s’enrôle ensuite comme simple soldat alors qu’il pourrait être lieutenant, qui risque la mort au front, qui perd sa virginité au milieu de la plus grande boucherie de l’histoire, qui rentre au Québec pour décrocher un emploi de Red Cap ou porteur comme la majorité des Noirs à l’emploi du CN.

Lorsqu’il est engagé comme critique de théâtre et de littérature à La Presse, il n’hésite pas dire ce qu’il pense de Félix Leclerc: «qu’on fasse lire dans les écoles de la province les livres de Leclerc, c’est pitoyable! Que de niaiseries! Que de facilité! Et quel passéisme!»

Le métissage dont il est question dans le titre de la présente recension est évidemment celui des gens de couleur ou de religion différente, mais surtout le métissage des cultures et des idées. Richard Hétu nous fait revivre les années effervescentes du Refus global. «Au diable le goupillon et la tuque!», écrit Borduas. Ce cri de révolte est lancé dans un Québec «serré de près aux soutanes restées les seules dépositaires de la foi, du savoir, de la vérité».

C’est la période où s’affirment les écrivains et artistes Albert Dumouchel, Roland Giguère, Jean-Jules Richard, Alfred Pelland et Jean- Paul Riopelle. C’est l’époque où des Québécois et Québécoises élargissent leurs horizons pour vibrer aux airs du jeune Miles Davis, aux romans d’Ernest Hemingway et au théâtre de Norman Mailer.

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Bien qu’il soit largement question de Jean Vaillancourt dans Rendez-vous à l’Étoile, Richard Hétu se défend d’avoir voulu écrire une biographie de cet écrivain disparu trop vite (il s’est suicidé à 37 ans). Il ne se cantonne pas dans le carcan qu’impose la biographie, il adopte le roman historique qui lui permet d’aller plus loin que les seules expériences de Vaillancourt.

Il introduit le personnage-personnalité Gaston Miron qui demeure peut-être un des premiers Québécois à assumer son américanité. À l’instar de Gaston Miron, Israël Pagé s’avère un personnage-phare qui reflète rien de moins que l’âme québécoise en ébullition, en effervescence, en transformation.

Le protagoniste Israël Pagé demeure de toute évidence l’enfant précoce d’un Québec qui se prépare à une révolution… qui n’aura rien de tranquille, bien au contraire!

Richard Hétu, Rendez-vous à l’Étoile, roman, VLB Éditeur, Montréal, 2006, 336 pages, 27,95$.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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