Entrevue vérité avec un acteur atypique

André Wilms sans retenue

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Publié 13/09/2011 par Guillaume Garcia

À Toronto pour défendre le film Le Havre, du Finlandais Aki Kaurismäki, l’acteur et comédien, André Wilms, a bien voulu nous parler du tournage, de sa relation avec Kaurismäki et du cinéma d’aujourd’hui. Âmes sensibles s’abstenir, le vieux bonhomme, ancien maoïste (comme la moitié des jeunes Français de l’époque) ne mâche pas ses mots sur ses contemporains!


Ce n’est pas la première fois que vous travaillez avec Aki Kaurismäki. Qu’est-ce qui vous plaît chez ce réalisateur?



Déjà je ne suis pas vraiment un acteur. J’aime beaucoup travailler avec Kaurismäki, parce que je trouve qu’il y a trop de films, on en voit trop, il y en a des centaines, des millions et lui je trouve qu’il a une façon à lui de raconter les choses, c’est un grand réalisateur, c’est un des seuls grands réalisateurs qu’il reste, il en reste une dizaine peut-être au monde, le reste c’est cet horrible dégueulis d’images qu’on est obligé de s’enfourner! Déjà quand tu vois le programme du festival tu te dis, mais putain arrêtez de faire des films les mecs! Il y a une overdose d’images.


Votre personnage s’appelle Marcel dans le film, comme dans La vie de Bohème.


Marx, Marcel Marx il s’appelle. C’est très important! C’est bien de redire de temps en temps Marx, c’est pas mal que les gens l’entendent. Maintenant c’est un gros mot! Dans le film Le Havre, on voit une certaine frange de la population française qu’on voit de moins en moins à l’écran? Qu’est ce que vous en pensez? Il y a chez Aki Kaurismäki une chose qui est assez juste. Il a une énorme nostalgie du cinéma français, Renoir, à une époque où il y avait encore des corps prolétariens dans le cinéma français.


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Maintenant c’est devenu une espèce de hobby pour classe moyenne, tout le monde a la même gueule. Le cinéma français c’est des films moyens maintenant, la petite bourgeoisie a pris le pouvoir. Les prolétaires ont disparu. En France il y avait un grand cinéma prolétaire, Gabin et tous ceux-là. Aki connaît très bien ce cinéma français et il y a une espèce d’hommage à ce cinéma là dans son film. Et pas au cinéma incestueux français, il n’y a plus que les «fils de» qui font du cinéma.


Vous avez aussi la nostalgie de cette époque?


Ce n’est pas de la nostalgie, non, ce n’était pas mieux avant, mais c’est vrai que le cinéma français contemporain m’intéresse peu, m’ennuie assez vite. Il manque de la violence, de la radicalité, ce sont des films mous. C’est le triomphe de la classe moyenne. On a quand même perdu la guerre culturelle contre les Américains.


Mais vous aimez l’Amérique. Vous avez déjà dit que vous aimeriez vivre à New York!


Je hais l’Amérique, mais quand Obama a été élu j’ai pleuré comme un enfant pendant une demi-heure. C’est aussi la force de l’Amérique. Ils sont capables des pires trucs, mais ils sont aussi capables des trucs les plus étonnants. Avant qu’on ait un président arabe en France, je serai en train de manger les pissenlits par la racine comme on dit! C’est ça l’incroyable force de l’Amérique.


Le film a été un énorme succès.Qu’est-ce qui séduit le public?


On n’y comprend rien avec Aki. On ne comprend pas pourquoi ce film a eu un tel triomphe alors qu’il en a fait beaucoup avant. Ceci dit, Aki a dit une chose juste: «Le monde est tellement apocalyptique que maintenant il faut faire des comédies». Il a de l’humour ce garçon! Je crois que ce qui séduit, c’est parce que c’est un film tendre, humble, qui ne pète pas plus haut que son cul, qui a une forme de tendresse, d’honnêteté, de poésie. Je n’aime pas ces grands mots, mais bon. Aki dit «Je comprends pourquoi les gens n’allaient pas voir mes autres films. C’est tellement triste, qu’est ce qu’ils vont aller se faire chier à voir ça. Ils sont déjà assez tristes dans la vie!


Comment se passe le tournage avec Aki Kaurismäki?


C’est quelqu’un qui dirige très peu. Il dirige très bien, mais très peu. Il tourne sans sentimentalisme exagéré. Il a eu une phrase très drôle qu’il m’a dite à un moment donné, lors d’une scène, quand je quitte le petit garçon. Comme tous les acteurs j’ai voulu mettre un peu d’émotion et il m’a dit: «Si tu veux gagner un Oscar c’est trop tard!» Il est très Buster Keaton. Il ne faut rien. Maintenant tout le monde joue trop. C’est aussi ça qui séduit les gens, il n’y a pas du pathos de merde, du sentimentalisme. Ça joue sobre.


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Votre personnage parle de manière très simple, ce serait presque du théâtre. On ne retrouve presque plus cela dans le cinéma. Était-ce une volonté du réalisateur?


Ça, c’est son écriture. Mais il me disait: «Ici on est pauvre, mais il n’y pas de raison qu’on parle mal!» Mais sinon il y a autre chose et là c’est sérieux. L’invention du micro-HF (cravate) fait que tu peux parler tout bas, sans être faux. Tu marmonnes. Avant dans les films d’antan il y avait le micro en haut et il fallait parler assez fort. Et lui avait la nostalgie de ces voix à la Gabin donc je lui ai dit: «je vais essayer, mais on risque de se planter!»


Vous avez déjà dit que vous aviez honte d’être acteur?


Quand tu t’imagines ce que les mecs touchent pour faire ce genre de conneries, alors que les infirmières sont sous-payées. Alors des fois j’ai honte. Si j’avais dit à ma mère ce que je touchais. Je n’ai jamais osé lui dire. Donc je mentais. Mon salaire journalier était son salaire de deux ou trois mois. Les acteurs sont quand même beaucoup trop payés pour leur business, faut pas charrier quand même! Quand tu vois ce que les mecs touchent pour faire n’importe quoi! Je préfère à la limite les footballeurs, au moins ils courent pendant 90 minutes. Maintenant les acteurs ont des oreillettes pour leur texte…


Vous avez déjà travaillé avec la relève?


Oui, parce que j’en ai aussi marre du côté avant c’était mieux. Là j’ai fait les deux courts-métrages du petit Mathieu Demy. J’ai aussi tourné un road movie fait par des jeunes. C’est pour arrêter d’être un vieux con! S’il y a des jeunes qui me proposent des trucs bien, même pas payé, j’accepte. Il y a des jeunes bien, c’est avec eux que j’ai envie de travailler. Les vieux comme moi ils m’emmerdent.


Le film a été présenté au TIFF les 8 et 9 septembre derniers. Il part maintenant en tournée vers Edmonton, Calgary, Halifax et Montréal. Vous pourrez le revoir à Toronto début novembre lors de sa sortie en salle le 4 novembre prochain au TIFF Bell LightBox.

Écouter l’interview avec André Wilms:

Auteur

  • Guillaume Garcia

    Petit, il voulait devenir Tintin: le toupet dans le vent, les pantalons retroussés, son appareil photo en bandoulière; il ne manquait que Milou! Il est devenu journaliste, passionné de politique, de culture et de sports.

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