Art et censure: des opposés?

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Publié 09/08/2011 par Gabriel Racle

Art et censure: rapprocher ces deux mots à tout de l’oxymore, cette figure de style qui consiste à joindre deux sens opposés. Ce qui est apparemment le cas, puisque l’on associe généralement art à liberté d’expression et censure à limitation de celle-ci.

Un livre neuf

Placer ce sujet sous cet angle, c’est marquer l’intérêt d’un ouvrage qui aborde la question de l’art et de la censure avec un regard neuf sur un domaine souvent méconnu, si même il n’est pas tabou ou confiné simplement au domaine restrictif de la pornographie.

Mais c’est une approche originale que celle de Thomas Schlesser dans L’art face à la CENSURE. Cinq siècles d’interdits et de résistances, Paris, Beaux Arts éditions, 2011, 242 p., 150 illustrations la plupart en couleur.

Il brosse une véritable fresque solidement documentée, qui couvre cinq siècles d’interdits, de transgressions, de répression, de la Renaissance à nos jours. Pour le lecteur, c’est bien souvent une découverte à laquelle le convie ce professeur d’une école supérieure d’art.

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La censure

La censure ne date pas d’aujourd’hui, ni même d’hier. Le mot dérive du latin censores (censeurs), désignant des magistrats que leurs fonctions amenaient aussi à surveiller les mœurs. Ce rôle est à l’origine du déplacement du sens du mot vers des connotations rigoristes et la censure. Les censeurs ont été créés en – 444!

Et la censure n’a cessé de se développer et de se diversifier. Le poète tragique grec Euripide (480 av. J.-C. – 406 av. J.-C.) défendait déjà la liberté d’expression.

Au fil des siècles, les autorités se sont adjugées le rôle de contrôler ce qui se disait, ce qui se faisait. Ces autorités, essentiellement religieuses ou politiques, intervenaient même dans des domaines qui n’étaient pas de leur compétence

Galilée en a fait les frais, condamné à se taire par l’Église catholique, pour avoir dit que la Terre tournait autour du soleil.

Entre les mains de ces puissances politiques ou religieuses, la censure devient un outil d’imposition de «valeurs», de contrôle des oppositions ou de la pensée.

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Ainsi se forment des index, une spécialité de l’Église catholique romaine, ou les enfers des bibliothèques publiques. Mais la censure ne va pas s’appliquer qu’aux publications écrites, elle va aussi toucher l’expression artistique dans un jeu complexe d’influences, de protectionnisme ou de contraintes.

Évolution et révolution

Un des grands mérites de l’ouvrage de T. Schlesser, c’est de présenter l’action de la censure dans l’évolution du temps.

Censure et liberté d’expression se confrontent au cours de neuf sections chronologiques. On peut ainsi associer facilement les artistes, leurs œuvres et leurs problèmes, en même temps que l’évolution sociale qui les accompagne. Car la censure sociale n’est que le reflet de ce que les autorités évoquées s’efforcent d’imposer.

Un exemple parmi d’autres, de 1536 à 1551, à la demande de Clément VII puis de Paul III, Michel-Ange exécute le Jugement dernier, avec quelque 400 personnages. Mais les nus scandalisent certains, comme Paul IV (1555-1559), qui fait cacher certaines parties des personnages par Daniele Ricciarelli, (1509-1566), assistant de Michel Ange, qui sera surnommé «Il Braghettone», «le culottier».

Faut-il évoquer Gustave Courbet, présent sous ce titre: «Quand le réalisme bouscule la réalité». «Ce sont des liens curieux et très complexes à démêler que ceux de Courbet et de la censure.

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Pour les évoquer, il faut envisager l’œuvre qui, de toute la carrière du maître du réalisme, essuya, assurément, les interdits les plus tenaces, et surtout la sanction la plus irrévocable.» L’œuvre, Le retour de la conférence, fut achetée pour être détruite. Le lecteur en découvrira la raison, tout comme la censure frappant récemment Un enterrement à Ornans ou L’Origine du monde (2011), banni de Facebook.

Une longue liste

On ne saurait mentionner tous les artistes victimes de la censure religieuse, politique ou même artistique. On y trouve Michel-Ange, Le Caravage, Watteau, Courbet, Picasso, Manet, Dürer, Dix et bien d’autres, que l’on découvrira au fil des pages.

Et s’il y a «La mise à mort de l’image», il y a aussi «L’art en conflit – Quand la création se dresse contre la barbarie», lors de la répression soviétique ou de l’«art dégénéré» du nazisme.

Le cinéma n’est pas oublié dans «Les coupes sombres dans les salles obscures». On pourrait prolonger ces pages avec ce qui se passe au Canada. L’Office national du film (ONF) n’a-t-il pas censuré Denys Arcand ou Gilles Groulx?

Un mal ou un bien?

Les censeurs «ont plusieurs mérites, malgré eux. Ils attestent la puissance de l’art et les peurs que son efficacité engendre; ils mettent les créateurs face à leurs responsabilités, les poussent dans leurs retranchements, les astreignent à la résistance et à la transgression; enfin, ils sont les symptômes d’un contexte et, au sein de celui-ci, ils révèlent ce que l’on peut montrer ou non, ce que l’on peut dire ou non.» (T. Schlesser)

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Alors… ne serait-ce pas un livre à lire!?

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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