Livre-choc sur la souffrance des Haïtiens

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Publié 09/11/2010 par Paul-François Sylvestre

Écrivain, avocat et activiste américain, Randall Robinson a mené un long combat aux États-Unis contre l’apartheid en Afrique du Sud. Proche de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, il s’est fait son défenseur dans le monde entier. Cet écrivain au franc parler vient de publier Haïti: l’insupportable souffrance, où il retrace de manière très vivante l’histoire tragique de ce pays, des origines à nos jours.

L’ouvrage est bien documenté et l’approche est directe.

L’auteur dit les faits sans mettre de gants blancs. Son style est vivant, imagé et coloré. Robinson signale d’abord que le 
9 décembre 1492 est la plus fatidique des journées dans l’histoire d’Haïti.

Ce jour-là, Christophe Colomb «découvre» une île qu’il baptise Hispaniola. Elle est habitée par huit millions d’indiens Taïnos.

Vingt ans plus tard, il en reste moins de 28 000; cinquante ans plus tard, seuls 200 Taïnos sont vivants. Les maladies apportées par Colomb, les massacres du découvreur et l’esclavagisme ont décimé les premiers habitants de l’île.

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Robinson note ensuite que le 18 novembre 1803 est la plus importante journée dans l’histoire des Noirs de la planète.

Ce jour-là, une armée d’anciens esclaves haïtiens sort victorieuse d’une série de batailles contre les Français et Britanniques. Haïti devient une république libre et indépendante, rompant tout lien avec le colonisateur.

Exemples à l’appui, l’auteur explique comment, pendant 200 ans, Haïti fut la cible d’invasions militaires, d’embargos économiques, de barrières commerciales, voire de dictatures noires armées par les États-Unis.

«En guise de punition pour avoir créé le premier état libre des Amériques (alors que 13% de la population des États-Unis était en esclavage), les États-Unis et l’Europe imposèrent à la nouvelle République d’Haïti un embargo économique total.

Il fut renforcé par une demande supplémentaire de la France: des dédommagements financiers, pour un montant d’environ 21 milliards de dollars (équivalent 2004), afin de compenser la valeur des esclaves récemment libérés, dont la France n’était plus propriétaire.

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Ce fut la première fois dans l’histoire que des dédommagements étaient imposés par la nation vaincue à celle qui l’avait battue.»

En 1922, après sept ans d’occupation, les États-Unis imposèrent au gouvernement haïtien un prêt de 16 millions de dollars pour régler sa dette envers la France. Le prêt fut finalement soldé en 1947, soit 144 ans l’indépendance du pays noir.

L’économie haïtienne ne s’est jamais remise des ravages économiques causés par la France et les États-Unis.

L’auteur fait remarquer qu’Haïti est la société la plus divisée sur le plan racial des Caraïbes. Aujourd’hui encore, la couleur demeure une barrière à l’éducation et au progrès social.

Jusqu’à tout récemment, il y avait deux catégories de citoyenneté: une pour les blancs, mulâtres et citadins jouissant de gros moyens, l’autre pour les noirs pauvres et ceux nés à la campagne («gens de l’extérieur»).

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«Depuis que les esclaves haïtiens ont gagné leur indépendance contre la France en 1804, les États-Unis ont brandi au-dessus d’Haïti une épée de Damoclès. L’histoire de ces abus de pouvoir est bien connue des nations caraïbes démocratiques. […] Aucun verdict électoral, aucune coutume ou habitude constitutionnelle, aucune décision du Parlement, aucune prérogative des citoyens ordinaires n’est à l’abri d’une envahissante Amérique dont les sautes d’humeur et les politiques ne sont ni plus justes, ni plus prévisibles, ni plus défendables que les caprices des ouragans.»

De la révolution à l’enlèvement d’un Président, Randall Robinson présente une thèse originale, appuyée sur une mise en contexte historique très documentée de la situation d’Haïti.

Ce livre-choc expose les souffrances du peuple haïtien, qui n’ont pas cessé, depuis la «découverte» de Christophe Colomb en 1492.

Pour l’auteur, tous les maux dont souffre Haïti depuis son indépendance (1804) ont une source clairement identifiée: les pays occidentaux ne pardonnent pas, et ne pardonneront jamais, à une armée d’anciens esclaves va-nu-pieds d’avoir vaincu, lors de la Guerre d’Indépendance, leurs corps expéditionnaires rutilants, qu’ils viennent de France, d’Espagne ou de Grande-Bretagne.

Selon Robinson, les États-Unis en voudront éternellement à Toussaint Louverture et ses troupes d’avoir donné le mauvais exemple à leurs propres esclaves en s’émancipant.

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L’enlèvement de Jean-Bertrand Aristide, président démocratiquement élu, par les forces spéciales américaines, demeure, aux yeux de l’auteur, le dernier épisode en date de cette volonté des puissances occidentales de maintenir le peuple haïtien dans la misère dont Aristide tentait de le sortir.

Randall Robinson, Haïti: l’insupportable souffrance, essai traduit par Jean-Paul Bertrand, Monaco, Éditions Alphée, 2010, 320 pages, 29,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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