La globalisation: phénomène inévitable ou idéologie en chute libre?

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Publié 18/04/2006 par Magdaline Boutros

On nous promettait une croissance économique sans pareille, une compétition salvatrice entre les entreprises et la disparition de l’État-nation. Mais la globalisation n’a pas été à l’image des prédictions des prophètes économiques, soutient John Ralston Saul, auteur de Mort de la globalisation et conférencier invité du Club canadien de Toronto la semaine dernière. «On trouve des réussites remarquables, des échecs embarrassants et une série de ‘’plaies suppurantes’’.» Proclamée inévitable, la globalisation serait, depuis 1995, sur son déclin.

«[La globalisation] n’a rien à voir avec le vrai ou l’inévitable, mais beaucoup avec une théorie économique expérimentale présentée comme un fait darwinien», écrit John Saul. L’essayiste privilégie l’utilisation du terme «globalisation» plutôt que «mondialisation» tout au long de son ouvrage, mettant ainsi en exergue la composante économique du phénomène.

La globalisation est décrite comme étant «une forme inévitable d’internationalisme dans laquelle la civilisation se trouve réformée dans la perspective du pouvoir économique. Ici, le pouvoir ne provient pas du peuple, mais de la force innée de l’économie, c’est-à-dire du marché.»

Apparue dans les années 1970, la globalisation a été au sommet de sa gloire dans les années 1980 et 1990. «Ses défenseurs et ses croyants soutenaient avec témérité que, vues à travers le prisme d’une certaine école économique, les sociétés du monde entier suivraient des directions nouvelles, liées entre elles, positives. En une vingtaine d’années – les années 1980 et les années 1990 – cette mission a été convertie en politiques et en lois avec la force de ce qui est réputé inévitable.»

Pourtant, la globalisation n’a pas été à la hauteur des espérances que l’on portait en elle. Loin d’être un phénomène inéluctable, la globalisation ne serait qu’une idéologie. Pour le démontrer, l’essayiste détruit un à un les préceptes «inévitables» des néolibéraux.

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Les États-nations vont s’affaiblir, disait-on. «Mais ils sont de retour» rétorque l’essayiste. Les gouvernements seront incapables de contracter de grandes dettes face aux règles économiques internationales; mais les chantres de la globalisation, les États-Unis, sont le pays le plus endetté, continue-t-il. Le pouvoir des multinationales surpassera celui des États; mais «les gouvernements commencent à leur dire non», nous dit Saul.

La globalisation a également échoué dans ses promesses de croissance économique. La croissance du PNB par habitant au cours des 30 dernières années est quatre fois moins grande que pendant les 25 années qui ont précédé l’avènement de la globalisation, dit Saul.

La globalisation devait accroître la compétition entre les entreprises. L’effet inverse a été produit avec le retour des oligopoles. «L’arrivée des multinationales et des transnationales était un événement anti-capitaliste, explique John Saul. C’est une structure qui évite la compétition et la création de richesse.» L’essayiste va même jusqu’à évoquer le retour du mercantilisme. «C’est une contradiction fondamentale et une faillite pour la globalisation.»

Visionnaire ou utopiste?

La thèse de John Saul s’inscrit à contre-courant de la pensée dominante. Depuis la sortie de son livre, nombre de voix se sont élevées pour contester l’analyse de l’essayiste. Que faire d’Internet et de son universalisation ou encore de la montée en puissance de la Chine et de l’Inde?

«Les technologies peuvent aussi être construites pour créer des murs», répond Saul. Les récentes restrictions imposées à Google et Yahoo en Chine en sont un exemple. L’auteur remet également en question la centralisation des technologies aux mains de quelques entreprises.

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«Si ces vecteurs de communication étaient des vecteurs de globalisation, alors comment se fait-il qu’on se retrouve dans une situation où si peu d’organisations les contrôlent?», demande-t-il.

Quant aux exemples chinois et indiens, l’auteur est également sceptique quant au crédit à accorder à la globalisation pour expliquer leurs succès économiques. «La réussite croissante de ces deux pays rend absurdes nombre d’idées reçues globalistes», croit-il.

La réalité est autre que ce que l’on voit dans les médias pour John Saul. Alors qu’un million d’emplois ont été créés en Inde depuis l’arrivée de la globalisation il y a 10 ans, plus de huit millions d’Indiens par année affluent sur le marché du travail. L’effet est donc minime.

Le dernier plan quinquennal adopté par le Parti communiste chinois s’écarte également des grandes lignes de la globalisation, soutient John Saul. «La principale obsession chinoise n’est ni le libre-commerce ni les marchés libres. Elle est de résoudre le problème de la pauvreté intérieure, qui constitue une bombe à retardement politique.»

Désordre mondial

Avec la chute de globalisation, le système international se trouve en désordre, soutient Saul. «Nous sommes comme dans un vide, mais un vide chaotique, plein de désordre et de tendances contradictoires.»

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Saul voit cet entre-deux de manière salutaire. Un moment propice à la réflexion. Depuis 10 ans, les traités internationaux de nature non économique sont de retour. Les traités sur les mines anti-personnelles, sur la Cour internationale de justice et sur la diversité culturelle ont tous été adoptés, sans les États-Unis, et avec le leadership du Canada, rappelle-t-il.

«La probabilité de renouveau dépend de notre aptitude à nous servir de l’interrègne pour effectuer des choix qui nous aideront à façonner la nouvelle époque dans laquelle nous vivrons.»

Plusieurs idéologies montantes, dont le nationalisme négatif, pourraient éventuellement ravir la place de la globalisation, croit Saul. Il souhaite, plutôt, l’adoption de trois traités internationaux – sur les impôts, les conditions de travail et la compétition économique – qui pourraient forger une «meilleure structure internationale».

Visionnaire ou utopiste? C’est l’avenir qui nous le dira.

John Ralston Saul (trad. Jean-Luc Fidel), Mort de la globalisation, Éditions Payot, Paris, 2005, 480 pages.

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