Antiprohibitionnisme à la portugaise

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Publié 04/05/2010 par Jean-Luc Bonspiel

En tous lieux et de tous temps, les humains ont cherché à varier leur expérience sensorielle à l’aide d’une impressionnante panoplie de denrées et de techniques. Même dans une Amérique qui ne connaissait pas l’alcool avant les invasions européennes, les pèlerins spirituels des premières nations cherchaient le dépassement de soi par des mortifications de la chair dignes des plus austères fakirs de l’Inde.

Contrôle du pouvoir

L’histoire est marquée de façon analogue par les efforts des divers fondés de pouvoir pour restreindre l’accès aux substances enivrantes.

L’aristocratie Aztèque s’est longtemps réservée le monopole universel du chocolat et de vénérables traditions yogiques commençant à peine à nous devenir intelligibles.

Toute société hautement chorégraphiée doit démoniser les paradis artificiels pour stigmatiser les faibles d’esprit, les libertins et ceux que la xénophobie propre au temps et au lieu désignera.

La productivité élevée de notre époque n’admet pas le fort potentiel de chaos qu’apporte un influx incontrôlé de voyageurs spirituels.

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D’autant plus que tout gouvernement a besoin de refuzniks pour peupler ses prisons et encourager les autres à se serrer la ceinture et bénir le seigneur.

Un crime sans victime, est-ce possible?

Contrôler le corps de l’autre est une stratégie du pouvoir qui précède l’écriture et la parole.

Elle remonte avant La Boétie, la constatation que la servitude est volontaire, que la domination est presque impossible sans le consentement du dominé.

La possession de drogue dans le simple but de la consommer est un de ces crimes qui ne troublent que le souverain; aucun des participants ne se plaint.

C’est paradoxalement à la renaissance humaniste, où les individus se mettent à se distinguer des collectivités, où l’insondable gouffre entre le corporel et le spirituel donne le ton pour le mépris du matériel. Jean-Paul II portera le cilice jusqu’à la fin.

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Perte de contrôle

Mais au tournant du XXe siècle, on pouvait se procurer héroïne, cocaïne et sirop de cannabis chez le pharmacien du coin, pas d’ordonnance, pas de question. La disparition de ce droit s’inscrit dans un processus historique de prise de contrôle de nos corps physiques.

Au Moyen-Âge, le médecin n’était qu’un technicien expérimenté à qui le patient disait quoi faire. C’est comme si vous deviez obtenir une autorisation pour acheter des clous chez le quincaillier.

Dans un monde où la moralité est multiforme, floue ou tout simplement n’est plus, pourquoi punir les crimes sans victimes?

Une solution simple et efficace

Depuis 2001, la possession de drogue n’est pas un crime au Portugal. Marijuana, cocaïne, héroïne, LSD, champignons, amphétamines – tout est permis.

Une personne trouvée en possession se fait simplement offrir une consultation thérapeutique.

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Une étude menée cinq ans après la mise en place des mesures antiprohibitionnistes a révélé que moins de jeunes se droguaient et que les cas de transmission du VIH imputables au partage des seringues étaient également en baisse.

On peut aussi noter avec intérêt que le tourisme de drogue que les détracteurs avaient érigé en épouvantail ne s’est jamais matérialisé.

Qui profite?

Il y a une centaine d’années, les pouvoirs occidentaux faisaient la guerre à la Chine pour lui imposer son marché de l’opium.

Le gouvernement américain a créé le crime organisé tel qu’on le connaît dans les films en instaurant la prohibition du transport et de la vente des boissons alcoolisées.

Aujourd’hui, les pouvoirs occidentaux sont présents en Afghanistan, où par pure coïncidence leur occupation a vu la production de pavot décupler.

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Le crime organisé, qui a historiquement eu son mot discret à dire sur les opérations sociales, serait particulièrement froissé de voir cesser la prohibition sur les drogues.

On peut aussi imaginer que les corps policiers, dont une bonne partie des activités dépendent de la criminalisation des drogues, verraient d’un oeil suspect l’atteinte massive à leurs budgets que représenterait la disparition d’une grosse partie de leur raison d’être.

Mais les très gros perdants dans un scénario de légalisation unilatérale seraient les grandes firmes pharmaceutiques, qui se verraient préférer une fleur toute simple et naturelle à leurs préparations complexes et souvent meurtrières.

Toucher le nerf

Ce n’est que récemment qu’on a appris que les autorités fédérales américaines avaient sciemment empoisonné de grandes quantités d’alcool frelaté dans les années 20, causant la mort de milliers de personnes.

L’opération avait pour but de créer une peur de l’alcool de contrebande dans une population qui refusait jusque-là de respecter l’interdit décrété par le régime.

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À l’heure actuelle, les vendeurs de drogue illégale en Irlande s’unissent pour attaquer à coups de cocktails molotov les head shops qui vendent des substituts de drogue à base de substances légales (ou non encore criminalisées).

On peut mesurer la validité d’un cadre législatif en mesurant l’efficacité avec laquelle il protège les victimes. Car, au pire, la dépendance est une maladie – pas un crime.

On ne guérit pas une pneumonie avec trente jours en cellule, que je sache. Or, la prohibition d’une substance a tendance à encourager sa consommation, si ce n’est que comme geste de désobéissance.

En faisant le tour de la question du point de vue du citoyen, la criminalisation des drogues, c’est comme un test de conduite en braille, ça n’a aucune raison d’exister.

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