Une savoureuse histoire de la Nouvelle-France 

Nous étions le Nouveau-Monde

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Publié 19/01/2010 par Paul-François Sylvestre

Historien-raconteur, Jean-Claude Germain vient de publier Nous étions le Nouveau Monde: le feuilleton des origines. Cet ouvrage nous convie à revisiter une galerie de personnages essentiels, depuis balbutiements de la Nouvelle-France jusqu’après la bataille des Plaines d’Abraham. En dépit d’une recherche sérieuse, le ton demeure léger, pour ne pas dire coquin.

Les titres de certains chapitres donnent, à eux seuls, le ton de cet ouvrage. En voici quelques exemples: Pas de bébé au berceau, pas de castor au canot, Cachez cet évêque que je ne saurais voir, À chacun ses suicides et ses tortures, Le blanc-bec et le petit marquis, La grande couillonnade.

Un des premiers chapitres porte sur la femme de 1640. Germain va droit au but en précisant tout de go que nombre de femmes souhaitent se libérer d’une triple servitude: mariage, grossesses, devoirs conjugaux.

Elles entendent contester «la prédominance politique, économique, culturelle et sexuelle du mâle». Les moyens de contestation sont limités dans les circonstances du temps. L’unique alternative demeure le célibat religieux.

Entrer en religion est un choix radical mais éprouvé. «Consacrer sa vie au service de Dieu s’avère alors le meilleur des investissements pour se garantir une certaine dose d’autonomie personnelle», écrit Germain. Il affirme même sans hésitation que Catherine de Saint-Augustin figure ni plus ni moins comme «la Madonna de la Nouvelle-France»!

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Pour croître, une colonie a besoin du mariage. D’après le recensement de 1665, il y a 247 femmes et 791 mâles non mariés. Il faut se rendre à l’évidence. «On ne fait pas un pays avec des vieux garçons ou des vieilles filles, pas plus qu’on ne fait des enfants en pratiquant l’abstinence.»

Pour l’intendant Jean Talon, la solution est simple. Le mariage doit être obligatoire. «Dans les quinze jours qui suivront le prochain arrivage de filles du Roy, tous les célibataires de la colonie devront convoler en justes noce, sous peine de sanction.» Cette sanction inclut la privation du commerce des fourrures. «Pas de bébé au berceau, pas de castor au canot!»

L’année suivante, Louis XIV se met de la partie et crée l’ancêtre de l’allocation familiale. «Les familles de dix enfants recevront une pension annuelle de 300 livres; celles de douze toucheront 400, et 1200 pour quinze. Qui fait des p’tits s’enrichit!»

Malgré les arrivages réguliers de filles du Roy, on compte toujours moins de femmes que d’hommes. Le plus fidèle compagnon de l’homme, dans les circonstances, demeure le cabaret. Germain écrit que «la paroisse de Lachine s’affiche depuis trop longtemps comme le théâtre de l’ivrognerie.»

Mais pour les libertins qui combattent le typhus, le cabaret demeure un remède plus efficace que les prières. «Ça se défend!», d’ajouter Germain.

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Ce n’est pas parce que le climat est extrême et le travail pénible qu’on doive s’ennuyer. En 1694 on présente la pièce Le Tartuffe, ce qui est loin de plaire à l’évêque Saint-Vallier. Résultat: mandement, admonestation et interdit. La chose se rend jusqu’à la cour de Louis XIV; le roi est agacé: «Cachez cet évêque que je ne saurais voir!»

Une chose qui se porte bien en Nouvelle-France, c’est la langue française. L’historien Pierre-François-Xavier de Charlevoix a de bonnes oreilles et écrit: «Quoiqu’il y ait au Canada un mélange de personnes de toutes les provinces de France, on ne saurait distinguer le parler d’aucunes dans les canadiennes. On parle ici parfaitement bien, sans mauvais accent.»

Les us et coutumes de la population amérindienne font parfois sourciller les Européens. Le baron de Lahontan imagine un dialogue entre un Européen et un Amérindien.

Le premier dit qu’«il faudrait retrancher la nudité car, enfin, le privilège qu’ont vos garçons d’aller nus cause un terrible ravage dans le cœur de vos filles.» Le second répond: «Ce que tu me dis de la nudité, mon frère, ne s’accorde guère avec le gros bon sens. Les filles qui voient les jeunes gens nus jugent à l’œil de ce qui leur convient.»

Comme vous pouvez le constater, ce livre d’histoire de la Nouvelle-France tranche gaiement avec les refrains ânonnés par les manuels scolaires. La plume est savoureuse, la lecture est délicieuse.

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Jean-Claude Germain, Nous étions le Nouveau Monde: le feuilleton des origines, Montréal, Éditions Hurtubise, 2009, 258 pages, 22,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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