Magistrature et politique

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Publié 25/08/2009 par Gérard Lévesque

Le gouvernement Harper estime qu’il ne devrait pas y avoir de période d’attente avant de permettre à un ministre de poser sa candidature à une nomination à la magistrature. C’est du moins ce qu’on peut déduire de la nomination à un poste de juge, le 20 mai 2009, de celui qui, cinq jours auparavant, était le vice-premier ministre de l’Alberta. Ron Stevens a nécessairement déposé sa candidature alors qu’il était encore en politique. Toutefois, le principal intéressé fait présentement, malgré lui, la démonstration qu’une période d’attente de 90 jours ne serait pas suffisante.

Comme l’atteste la photo ci-contre, les consommateurs qui fréquentent le Centre d’achats Glenmore Landing, à Calgary, peuvent constater que le député fédéral et le député provincial de l’arrondissement y ont leur bureau de circonscription électorale. Stephen Harper est encore en politique. Est-ce aussi le cas de Ron Stevens?

Lorsqu’il a démissionné de son poste de député provincial de Calgary-Glenmore le 15 mai dernier, Ron Stevens savait que la nomination d’un politicien à un poste de juge est un sujet délicat. Plus de trois mois plus tôt, au chroniqueur Don Braid qui lui demandait s’il allait quitter la politique pour être nommé juge de la Cour du banc de la Reine, Ron Stevens avait ainsi répondu pour esquiver la question : «I think you’ve been visiting too many bars, Don». (Calgary Herald, 11 février 2009).

Puisqu’il avait été ministre de la Justice et procureur général, Ron Stevens n’était pas sans connaître la position de l’Association du Barreau canadien (ABC) selon laquelle, pour éviter toute apparence de favoritisme politique, aucun ministre ne devrait être nommé directement à la magistrature, sauf après une période intermédiaire de deux ans suivant la date de sa démission du cabinet. C’est sans doute pour cela qu’au moment où sa démission a été rendu publique, il a refusé d’indiquer ce qui allait être sa nouvelle carrière.

Les commentateurs sont unanimes à dire que toutes les activités et relations politiques de nature partisane doivent cesser totalement et sans aucune équivoque dès l’entrée en fonction d’un juge car l’impartialité, réelle et apparente, est une condition essentielle de l’exercice de la fonction judiciaire.

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Malgré qu’il siège comme juge à Calgary depuis trois mois, Ron Stevens a négligé jusqu’ici de s’assurer que l’affichage politique de son nom soit enlevé. Ceci est d’autant plus inacceptable que les partis politiques sont présentement en campagne en vue de l’élection partielle du 14 septembre prochain où les électeurs choisiront un remplaçant à Ron Stevens.

Toute personne qui envisage une charge de juge doit savoir que ses responsabilités ne se limitent pas à l’application équitable et juste de la loi, mais englobent le maintien de la bonne réputation de la magistrature elle-même. L’indépendance de la magistrature oblige le juge à rompre avec ses anciennes relations pour éviter le risque de conflit d’intérêts et lui impose les plus strictes normes dans l’exercice de ses obligations et responsabilités de magistrat.

La capacité de l’appareil judiciaire canadien de fonctionner efficacement repose en grande partie sur les normes déontologiques que nos juges s’imposent. Pour s’assurer que les juges et le public connaissent les principes qui devraient guider les juges dans leur vie personnelle et professionnelle, le Conseil canadien de la magistrature diffuse sur son site Internet www.cjc-ccm.gc.ca des principes de déontologie où on peut lire notamment: «Les juges, dès leur nomination, mettent fin à toutes activités ou associations politiques. Ils s’abstiennent de toute activité susceptible de donner à une personne raisonnable, impartiale et bien informée, l’impression qu’ils sont activement engagés en politique… Toute perception raisonnable de partialité d’un juge fait du tort aux autres juges, à l’ensemble de la magistrature, ainsi qu’à la bonne administration de la justice. Les juges doivent donc éviter de s’exprimer ou de se comporter sciemment, dans la cour ou à l’extérieur de la cour, de manière à donner l’impression, à une personne raisonnable, qu’ils ne sont pas impartiaux.»

L’affiche politique de Ron Stevens, au Centre d’achats Glenmore Landing, est une démonstration éloquente de la nécessité pour le fédéral d’appliquer la position de l’ABC. Pour maintenir la confiance du public dans les tribunaux et le processus judiciaire, nous avons besoin d’une révision des règles fédérales de nomination à la magistrature.

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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