On nous avait prévenus. Ils n’avaient effectivement presque rien. On leur mesurait toutes les fournitures scolaires à ces pauvres écoliers cubains. Notre valise, bourrée de cahiers, stylos, crayons de couleurs de toutes sortes, avait été un trésor déversé sur la petite école de Las Brisas. On nous avait largement payés en chants cubains. Touristes canadiens, nous venions d’un pays de rêve où l’on peut gaspiller le papier et faire des dessins en couleur. On s’était fait bien des amis!
Un matin, j’étais allé sur les rochers qui bordent un promontoire, le long de la mer. C’était jour de congé et l’une de mes petites écolières de Las Brisas était là, à regarder son grand-père, pêcheur, qui ne pêchait rien. Il jetait inlassablement son lancer, d’un air battu d’avance. La fillette, belle brunette, rire aux dents blanches, teint pain d’épice, yeux noirs, air joliment effronté, vint se planter devant moi, dès qu’elle m’eut aperçu.
– Tu me reconnais? Tu m’as donné un cahier, des crayons de couleurs et une gomme, hier, à l’école.
Bien sûr, je la reconnaissais! Pieux mensonge dont elle fut ravie. Elle venait d’avoir douze ans et mon cadeau, m’apprenait-elle, tombait juste pour sa fête. Chouette! Non?
– Mais pourquoi donc dessines-tu sur les rochers au lieu de le faire sur ton cahier?