La soupe au poivre

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Publié 13/01/2009 par Pierre Léon

Claude Tatilon vient de publier un adorable bouquin sur ses souvenirs d’enfance, appelé La soupe au pistou*. C’est ce titre, délicieux comme le bouquin lui-même, qui m’a soufflé aujourd’hui celui de mon propos.

Mon grand-père paternel adorait le bouillon de bœuf, que l’on appelait en Touraine la soupe grasse. Il y nageait de superbes yeux de gras qu’il noircissait de poivre moulu. À ma grand-mère qui lui criait d’arrêter parce qu’il allait s’abîmer à jamais «les intérieurs», Grand-Père répondait: «Ça rend amoureux!» Comme il était déjà bien vieux, elle répliquait: «Dame! Il serait grand temps!» Et lui continuait, en riant d’un rire rabelaisien, à tourner le gros moulin à poivre qui datait, paraît-t-il de Napoléon. Cette poivrière avait dû donner des espoirs à bien des ancêtres, qui n’y croyaient sûrement guère mais avaient gardé le goût de l’épicé, comme partout au sud de la Loire.

Eh oui. Le poivre, comme presque toutes les autres épices, fait partie des aphrodisiaques traditionnels, tels que le piment, le raifort, le clou de girofle, la cannelle, la cardamome, le cumin, l’ail. Leur signe commun est le goût terriblement fort, qui vous emporte le palais. L’oignon, que l’on pourrait ranger dans cette catégorie, a la même réputation et ce n’est pas pour rien qu’on en servait aux jeunes mariés, la nuit des noces!

Le curry, constitué d’une quinzaine de plantes, dites excitantes, réduites en poudre, a dû contribuer beaucoup à l’art érotique de l’Inde et à ses exercices de Kamasoutra! Les Chinois, eux, avaient découvert les mêmes vertus stimulantes dans le gingembre, dont le nom signifie virilité.

Je ne sais si on a jamais fait d’observation scientifique sur tout ce qui a la réputation de stimuler l’énergie sexuelle mais peut-être les stimulants médicaux actuels sont-ils le résultat d’une concoction de plantes telles que l’artichaut, le céleri, et peut-être la pomme de terre, qui passait pour un sérieux aphrodisiaque en Amérique du sud!

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Casanova, dont l’imagination était grande, prétendait rajeunir son appétit sexuel grâce à un mélange d’écrevisses, d’anchois et d’œufs de caille. L’histoire doit compter ainsi plus de fabricants de filtres d’amour abracadabrants que de chercheurs d’or hurluberlus. L’amoureuse Aphrodite passait pour concocter ses philtres à l’aide de fruits du grenadier.

Au Moyen Âge, on vendait à prix d’or une «poudre de badinage», faite de marjolaine, de verveine, de thym et de fleur de myrte. Elle sentait si bon qu’elle avait la réputation de tourner la tête des filles au point qu’elles étaient tout de suite prêtes à danser avec celui qui en était parfumé, «fut-il en chemise».

Aux fêtes de fin d’année, les connaisseurs auront dégusté les huîtres traditionnelles, peut-être aussi des coquilles Saint-Jacques, toutes deux aphrodisiaques généralement bien connues. On leur attribue ces vertus à cause, dit-on, de leur teneur en iode et en algues marines. Mais il y a probablement d’autres raisons. Le royaume de la mer est aussi celui des sirènes dont on connaît le redoutable pouvoir de séduction. Botticelli a peint la naissance de Vénus dans une belle coquille Saint-Jacques, lui reconnaissant ainsi un pouvoir amoureux.

Sans doute un psychanalyste expliquerait-il que tout aliment connoté à la sexualité est susceptible d’entrer dans le champ sémantique des aphrodisiaques. La carotte, toute droite et le gingembre torturé ont une allure phallique, alors que l’huître a un aspect féminin évident. Il en est de plus cachés, comme le délicieux corail de la coquille Saint-Jacques. Au Canada, et dans toute l’Amérique du Nord, il est introuvable depuis que les protestants de Nouvelle Angleterre l’ont banni, parce qu’il offensait la morale en risquant de donner de mauvaises pensées aux jeunes filles vertueuses. Encore aujourd’hui, l’interdit religieux nous prive de ce met délicat qui n’est pas perdu pour tout le monde, puisque les Japonais l’achètent à prix d’or. Eux n’ont pas honte d’en manger puisqu’ils le considèrent comme un puissant aphrodisiaque. Les Français en sont gourmands sans trop savoir qu’on lui attribue un pouvoir sexuel. Bien des gens, plus gourmets que biologistes, croient que ce corail est le foie de la coquille. En réalité, il est bien l’organe sexuel. Où les choses se compliquent, c’est que ce mollusque est, comme son cousin l’escargot, hermaphrodite! Lorsque le corail est blanc ocré, c’est la période femelle et s’il est rouge, c’est le tour du mâle. Ne m’en demandez pas plus. Mais avouez que les protestants avaient de quoi avoir peur!

En tout cas, si vous décidez d’inviter votre partenaire pour un dîner romantique aux chandelles, la gastronomie aphrodisiaque vous propose tout un éventail de mets et de boissons tels que le champagne grenadine, le caviar et les huîtres avec muscadet, le sauté d’agneau au curry, avec un châteauneuf-du-Pape, la salade bien aillée, une compote de mangues au gingembre. Et puis pour les bourses modestes, il restera toujours la soupe au poivre de mon grand-père! Après dîner, il avait aussi un vin rouge sucré, bien chaud, assaisonné de cannelle et de poivre, à réveiller un mort sur le moment! Mais attention, après ça endort vite!

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*Claude Tatilon, La soupe au pistou, Paris, France Loisir, 2008.

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