Quelques sélections pour se dégourdir les oreilles

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Publié 22/12/2008 par Dominique Denis

Au départ, j’avais pensé titrer cette ultime chronique de 2008 «Mieux vaut tard que jamais», mais j’ai eu peur que vous ne pensiez que je réglais leur compte à quelques disques à la sauvette avant de prendre des vacances. En vérité, les choix qui suivent me trottent dans la tête depuis des semaines, voire des mois, et ils rendent assez fidèlement compte de ce que j’écoute pour mon propre plaisir – ce qui, je l’ai dit souvent, est la seule mesure honnête de la qualité d’un disque. À bon entendeur, salut!

Paul Reddick

Au gré des ans et des albums, le fil qui relie l’auteur-compositeur torontois Paul Reddick au blues tel qu’on l’entend aujourd’hui est de plus en plus ténu. Dans ce monde qui carbure à la bière et aux clichés, Sugarbird (Northernblues Music) pourrait bien consommer la rupture. On y entend des traces de blues, bien sûr, mais l’intérêt de ce disque réside ailleurs.

La vérité, c’est que Reddick, comme tout artiste qui se respecte, est à la recherche de quelque chose qu’il a entrevu en songe, et qui, dans son cas, se situe à la confluence des mythologies de l’Amérique pré-industrielle et d’une poésie qui juxtapose ses images de façon incongrue, soutirant de nouveaux sens à des phrases autrement banales («Mary had a red dress, red dress, red dress/With thoughts that grew by night»). Si Dylan, lui-même arpenteur de mythologies, adoptait une écriture plus économe et élliptique, il pourrait s’appeler Paul Reddick.

Georges Moustaki

J’hésite à qualifier Georges Moustaki de géant: ses chansons sont de facture trop modeste pour qu’on le classe au rang des Ferré et des Brel. Pourtant, c’est précisément cette absence de grandeur qui nous le rend si attachant – et si essentiel. Solitaire (EMI/Fusion III) est un disque qui porte mal son nom, puisqu’on y retrouve pas moins de cinq duos. Moustaki y poursuit un cheminement qui semble si facile qu’on pourrait le croire paresseux.

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Certes, on y retrouve quelques reprises là où on eût préféré des nouveautés (Ma solitude et Donne du rhum à ton homme), mais les quelques perles nouvelles, comme Partager les restes (adaptation du répertoire de Chico Buarque, avec Stacey Kent) et Une fille à bicyclette, où Vincent Delerm lui donne la réplique, confirment que l’homme à la barbe désormais blanchie a toujours le don de nous toucher droit au cœur avec ses mots de tous les jours.

Ron Davis

J’ai souvenir de m’être dit, en entendant le quintette du pianiste torontois Ron Davis il y a quelques années, que le bougre se devait d’enregistrer un album de duos avec son saxophoniste et clarinettiste Sasha Boychouk. Dans ma tête, je les imaginais s’attaquant à une poignée de thèmes issus du répertoire classique, mais en s’accordant cet espace de liberté qui est le territoire privilégié des jazzmen.

Avec The Bestsellers (Davinor Records/Autoproduction), mon vœu est exaucé, du moins en partie. En effet, on y retrouve une relecture de l’adagio de la troisième symphonie de Brahms, ce même thème dont Gainsbourg avait fait Babe Alone in Babylone, pour Jane B., mais pour le reste, Davis et Boychouk balisent un vaste terrain d’entente qui englobe le boogie woogie, les vieilles mélodies juives, la fébrilité du bebop et le lyrisme de Billy Strayhorn. Comme c’est toujours le cas chez Davis, le résultat est simultanément imprévisible et accessible, avec, comme c’est le cas des meilleurs duos, l’intimité en prime. (www.rondavismusic.com)

Anton Kuerti

Il serait peut-être exagéré d’y voir un écho du travail de Gould avec Bach, mais l’éminent pianiste canadien Anton Kuerti aborde sur Haydn Sonatas (Analekta) avec une admirable clarté au niveau de l’articulation contrapuntique, une demi-douzaine des sonates de ce compositeur immensément prolifique.

Évitant l’usage excessif de la pédale (et le flou romantique qui en résulte), Kuerti met à nu l’architecture de ces œuvres dont il nous restitue à la fois toute la vigueur, mais aussi l’humour et la tendresse. Si elles renferment moins de moments de grâce pure que ses sonates de Beethoven (je vous renvoie à sa magistrale intégrale, gravée dans les années 70, et rééditée par Analekta), ces interprétations s’imposent néanmoins comme une belle évidence, et une preuve additionnelle de la place que mérite Anton Kuerti au rang des grands pianistes de notre temps.

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Virgil Thomson

Comme plusieurs de ses contemporains, le compositeur américain Virgil Thomson (1896-1989) s’est prêté avec bonheur à l’exercice de la composition pour le cinéma.

Ses bandes-sons pour The Plow That Broke the Plains et The River, originellement parues en 1936 et 1937, sont ici restituées par le Post-Classical Ensemble sous la direction d’Angel Gil-Ordóñez, dans le cadre de la collection American Classics de l’étiquette Naxos, simultanément à la réédition en DVD de ces magnifiques documentaires créés originellement pour promouvoir le New Deal du président Roosevelt.

Regroupant chacune une dizaine de vignettes, ces deux œuvres s’écoutent aujourd’hui comme une célébration tantôt bucolique, tantôt cocasse de l’Américanitude (Charles Ives n’est jamais loin), qui traduisent une sensibilité aux exigences de l’image, mais s’écoutent fort agréablement en-dehors de leur cadre visuel.

Bucky Pizzarelli

Je le dis chaque fois que j’aborde leurs nouveautés, l’étiquette américaine Arbors a le malheur de nous proposer de très beaux disques dans de très vilaines pochettes, ce qui a pour effet, j’en suis persuadé, de rebuter bon nombre d’acheteurs potentiels.

C’est dommage, parce qu’un album comme So Hard To Forget, du guitariste Bucky Pizzarelli, porte bien son titre. Entouré d’une modeste section de cordes (violon, alto, violoncelle, contrebasse et une seconde guitare), Pizzarelli se laisse aller à de superbes élans de lyrisme, dans un programme où se côtoient les inévitables standards (Laura de Johnny Mercer, In A Sentimental Mood de Duke Ellington) et quelques jolies espagnolades (deux mouvements de la Sonantina de Frederico Moreno Torroba, qui fut créée à Paris en 1925). Bref, la classe sans l’esbroufe.

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Bernard Falaise

Il y a des lustres que je n’avais pas entendu un disque à la fois aussi funky et aussi «fucké» que Clic (Ambiances magnétiques), du mutli-instrumentiste montréalais Bernard Falaise. De prime abord, on jurerait être tombé sur un prolongement du Bitches Brew de Miles Davis.

Plus loin, Capitain Beefheart y côtoient Harry Parch, père de l’écriture microtonale et musicien outsider par excellence. Mais n’allez surtout pas croire que Falaise et ses six acolytes (dont la redoutable clarinettiste Lori Freedman) se sont payés un décoiffant free for all aux dépends de nos oreilles.

Si elles puisent à toutes les sources imaginables, les 13 pièces de Clic sont rigoureusement organisées, jusque dans leurs cassures et leurs dissonances. Selon leur créateur, elles représentent «des études sur l’élasticité et la superposition des tempi ainsi que sur la capacité des oiseaux domestiques à l’apprentissage du langage.» Une telle prémisse mérite qu’on aille vérifier de soi-même, non?

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