À Noël, au moment du dessert, on peut voir apparaître sur les tables familiales ou celles des restaurants une pâtisserie en forme de bûche, dont on trouve des exemplaires dans le commerce ou d’innombrables recettes dans des livres de cuisine ou sur des sites d’Internet. «Qu’elle soit glacée, en mousse ou traditionnellement fourrée de crème, la bûche est l’incontournable dessert de Noël», nous dit un de ces sites: bûche aux framboises et à la pistache, bûche de Noël épicée au champagne, bûche aux trois couleurs, bûche au chocolat et aux marrons, etc. De quoi réjouir les palais gourmands et gourmets en cette période festive.
Célébrer Noël avec des bûches, fussent-elles en pâtisserie fine, n’est-ce pas étrange? D’où peut bien venir cette tradition, si tant est qu’elle soit autre que gourmande? Une tradition existe bel et bien, mais elle concerne une bûche de bois. Et pas une petite bûche, une bûche énorme que l’on allait chercher dans les forêts la veille de Noël et que l’on installait dans les grandes cheminées d’antan, qui servaient à réchauffer la pièce où se tenait la famille en hiver. On retrouve trace de cette coutume au XIIe siècle dans la plupart des pays européens, notamment en France et en Italie. Au Québec comme en France, selon les régions, cette tradition aurait perduré jusque vers la fin du XIXe siècle.
Dans son livre qui se présente ainsi: «Monseigneur CHABOT, curé de Pithiviers (Loiret) – La nuit de Noël dans tous les pays. (Régions de France), Pithiviers, Imprimerie Moderne, 1907, 136 p.», ce digne ecclésiastique raconte ce qui se passait dans différentes provinces de France au sujet de cette bûche. Il cite l’exemple d’une famille bretonne.
«Il s’agissait d’introduire la bûche de Noël, et de la choisir aussi grande que possible. On abattait un gros arbre pour cela; on attelait quatre bœufs, on la traînait jusqu’à notre maison, on se mettait à huit ou dix pour la soulever, pour la porter, pour la placer: on arrivait à grand’peine à la faire tenir au fond de l’âtre; on l’enjolivait avec des guirlandes; on l’assurait avec des troncs de jeunes arbres; on plaçait dessus un gros bouquet de fleurs sauvages, ou pour mieux dire de plantes vivaces.»
Il y avait des variantes selon les pays ou les régions, mais la bûche faisait toujours l’objet d’une grande attention. Il fallait la couper avant le lever du soleil, si possible dans un arbre fruitier comme le cerisier, le noyer, le châtaignier, l’olivier ou le chêne; on la décorait, on l’arrosait ensuite de vin, d’eau bénite ou de miel, ou on la saupoudrait de sel pour se protéger des mauvais sorts, avant de la faire brûler. L’allumage de la bûche était solennel. Il revenait au père de famille de le faire, patois c’était le plus jeune qui avait cet honneur. Ailleurs, les jeunes filles de la maison allumaient la bûche avec les tisons de la bûche de l’année précédente, qu’on avait pris soin de conserver précieusement. Dans d’autres familles, c’était plutôt à la mère que revenait ce privilège. «C’est sur les deux extrémités de la bûche ainsi consacrée que les mères et surtout les aïeules se plaisent à disposer les fruits, les gâteaux et les jouets de toute espèce auxquels les enfants feront, à leur réveil, un si joyeux accueil.»
«La bûche de Noël réunissait autrefois tous les habitants de la maison, tous les hôtes du logis, parents et domestiques, autour du foyer familial», écrit Chabot. Au cœur de l’hiver, c’était l’occasion de se réchauffer sous le grand manteau des immenses cheminées d’autrefois, en attendant la messe de minuit, et de réchauffer aussi les liens entre les membres de la famille et les personnes associées. Une coutume de retrouvailles qui subsiste de nos jours. À l’époque, une grand’mère contait parfois des légendes et frappait de temps à autre la bûche avec une pelle à feu pour en faire jaillir le plus possible d’étincelles, en disant: «Bonne année, bonnes récoltes, autant de gerbes et de gerbillons.» Beaucoup d’étincelles étaient la promesse de bonnes moissons l’été suivant.