La méduse n’aurait jamais pu imaginer qu’elle révolutionnerait la science. Une toute petite protéine, grâce à laquelle les bords de son corps deviennent fluorescents, se retrouve aujourd’hui au coeur d’une partie imposante de la recherche en biologie. Sous la lentille du microscope, on adore le fluo!
Imaginez que vous vouliez suivre à la trace, en laboratoire, le développement de cellules cancéreuses, perdues au milieu d’un amalgame de millions de cellules. Il suffit — façon de parler — de rendre ces cellules cancéreuses «fluo»! Même chose si vous voulez tester la croissance de neurones ou analyser la progression de l’Alzheimer. Ou l’état d’avancement d’un fragment d’ADN étranger dans un organisme génétiquement modifié. Ou pour détecter des produits toxiques : une petite manipulation génétique, et les bactéries qui «trouvent» la substance en deviennent fluorescentes.
Bref, la protéine fluo, la couleur verte sous la lentille du microscope, loin d’être un amusement pour scientifiques en manque de vie sociale, est devenue « le couteau suisse » des laboratoires.
C’est dans les années 1950 que le chimiste japonais Osamu Shimomura — aujourd’hui citoyen américain et âgé de 80 ans — s’intéresse à la méduse Aequorea Victoria. Il veut comprendre pourquoi même les restes de cet animal continuent d’émettre une lueur fluorescente lorsqu’on les arrose avec de l’eau. En isolant pour la première fois la protéine fluorescente verte (en anglais, GFP), il est loin de se douter que cela lui vaudra le Nobel de chimie, un demi-siècle plus tard, mais cela lui vaut au moins d’être recruté par l’Université Princeton, aux États-Unis, où il réussira à extraire cette protéine en série.
Les deux autres gagnants du Nobel de chimie 2008, Martin Chalfie et Roger Tsien, ont moins de 10 ans lorsque Shimomura fait sa découverte. Il faudra attendre la fin des années 1980 pour que Martin Chalfie, devenu biologiste à l’Université Columbia, à New York, ait une intuition: alors qu’il travaille sur l’un des « rats de laboratoire » préférés des biologistes — un petit ver appelé C. elegans — il songe à attacher cette fameuse protéine GFP aux gènes qu’il souhaite étudier.