Deux scientifiques en blouse blanche sont assis au milieu d’un ramassis de poubelles noires, contenant les morceaux de squelettes de 3 269 individus. Ce n’est pas le début d’un film d’horreur, mais le commencement de grandes découvertes pour l’Histoire napoléonienne.
Olivier Dutour, professeur d’anthropologie à l’université de Marseille, a rendu compte des nouvelles trouvailles sur la grande retraite de Russie, jeudi 8 mai à l’Alliance française de Toronto. Et par la même occasion il s’attachait à démontrer le rôle que peut jouer la biologie moléculaire sur les sciences humaines.
Ils mangeaient leurs souliers, cuisaient leurs poux, s’asseyaient sur des empilements de camarades raides morts et décédaient accroupis, avec les dernières flammes du feu qui les animait. Les 650 000 soldats embourbés dans la campagne de Russie de Napoléon ont vécu la plus grande catastrophe militaire de l’époque.
Les faits historiques connus étaient déjà effroyables. Le passage de la Berezina, cette rivière infranchissable, engloutit en quelques jours plus de 20 000 personnes, et la rigueur de l’armée bonapartiste s’ajoutait aux rudesses de l’époque: les opérations se faisaient sans anesthésie et les soldats étaient tenus de rester placide, d’honorer l’empereur en fumant leur pipe pendant qu’on les débarrassait de leurs membres congelés.
La plupart du temps ils en mouraient, crachant leur pipe en terre qui se fracassait sur la glace du sol. Les expressions «c’est la berezina», pour exprimer une tragédie, et «casser sa pipe», pour signifier le décès, trouvent leur origine dans cette tragédie.
La biologie moléculaire a pourtant encore beaucoup de choses à apporter à ce fatras de cruautés. Récemment, les autorités lituaniennes ont rasé une zone militaire qui fut tour à tour bonapartiste, tsariste, soviétique puis nazie, et sont tombées nez à nez avec un charnier rempli de squelettes. Dans ce dialogue des empires et des invasions barbares, les fosses humaines ne manquent pas en Lituanie, mais celle-ci a quelque chose de rare: des doublons du XIXe siècle et des enseignes de l’armée de l’Empire français.