La francophonie se réfléchit à l’Université de Toronto

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Publié 25/03/2008 par Ulysse Gry

Quatre cents ans de présence francophone en Ontario, et une journée pour en parler. Le grand colloque de la Semaine de la francophonie a pris place au cœur de l’Université de Toronto en présence de plusieurs conférenciers, croisant les lieux de provenances et les disciplines. Un jour pour se retourner sur son histoire et regarder lucidement son présent.

«Un bilingue n’est pas quelqu’un qui est deux fois monolingue, il est une nouvelle identité.» Quelques jours avant la tenue de ce grand colloque, Laurent Gajo, professeur à l’Université de Genève, annonçait la couleur: il consistera en une réflexion identitaire sur la communauté francophone de la région, une analyse de son histoire, bien sûr mais aussi de son présent pour mieux préparer l’avenir.

Au Hart House, les conférenciers se sont succédés, venus de tous les horizons de l’Ontario et même de Suisse dans le cas de Laurent Gajo. La francophonie s’étudie le temps d’une journée, et le français se parle pour mieux s’entendre.

Après tout, dans un pays bilingue et une région si multiculturelle, comment se comporte-t-il? Comment vit-il, comment a-t-il grandi, comment s’est-il construit? Et finalement, aujourd’hui plus diverse que jamais avec la mondialisation et ces nouvelles vagues d’immigration qui le portent vers des destinations toujours plus lointaines, où va-t-il?

«L’identité francophone change et évolue constamment, s’adapte, explique Yves Frenette, spécialiste de l’histoire de la francophonie nord-américaine et directeur du Centre de recherche en civilisation canadienne-française. Elle est vécue au quotidien, mais aussi pensée politiquement par les élites».

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Puis il tente brièvement de résumer cette longue et passionnante histoire, avec ces moments de crise (le Règlement 17 par exemple, adopté en 1912 et qui tenta pendant une quarantaine d’années d’interdire l’enseignement du français en Ontario), ces instants victorieux, ses forces et ses faiblesses.

Et rappelle les nombreux facteurs qui la créent: les forces politiques et religieuses, la culture, la construction identitaire par le sentiment d’être une minorité, le militantisme, les conflits, sa relation ambiguë avec le Québec (surtout lorsque celui-ci se refermera sur lui-même dans sa propre construction identitaire), ou encore son vécu sur la terre d’Ontario.

De «Canadiens» on passera avec la confrontation aux anglophones à «Canadiens français», avant de se reconnaître dans l’appellation «Franco-Ontarien»  actuelle, mettant l’accent cette fois sur l’appartenance territoriale.

Une discontinuité «dans la façon dont les locuteurs se voient et se sont vus» qui apprend beaucoup sur soi-même.  

John Ralston Saul se focalisait lui sur le temps du présent, et fustigeait les occasions manquées de construire ce vrai bilinguisme en Ontario. Les universités étaient en première ligne, elles qui n’ont pas su ou voulu s’attacher à l’enseignement bilingue, en continuité avec le secondaire. «C’est une crise réelle provoquée par les universités qui n’ont pas voulu créer de professeurs d’immersion, insistait-il, alors que plein de professeurs sont bilingues, mais on ne leur demande rien!»

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«Alors que montrer à part les deux langues, c’est une trahison profonde de ce qui se passe.» L’écrivain remarquait aussi la situation beaucoup plus complexe que l’habituel tableau de deux solitudes qui nous est décrit. «La réalité n’est pas si étroite, mais complexe, il y a des influences qui viennent de partout.»

Une identité franco-ontarienne donc en perpétuelle évolution, qu’il ne s’agit pas de freiner ou d’orienter, mais de prendre en compte et d’analyser pour lui permettre peut-être de se réaliser au milieu de tous ses différents référents. Ce colloque offrait cette possibilité de réflexion directe, tout en célébrant une fois de plus cette langue.

La Semaine de la francophonie avait donc en toile de fond le mérite de proposer un tel miroir interne de son propre rôle. Car beaucoup célébrée depuis une quinzaine d’année, la francophonie cherche finalement à montrer l’ancienneté de sa présence, à divulguer son histoire particulière et passionnante, à partager sa ou ses cultures pour s’insérer dans sa place canadienne.

Une émulation qu’Yves Frenette expliquait «dans un monde où l’individualisme est fort, où des balises disparaissent. On cherche alors naturellement à s’ancrer.»

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