Depuis les années Polly-Esther, le duo qu’elle formait avec Rachel Duperreault, la fransaskoise Anique Granger a longtemps évolué en marge du genre de reconnaissance critique et commerciale dont bénéficièrent jadis Daniel Lavoie et Hart Rouge, ces autres représentants de la francophonie des Plaines. Mais peut-être y avait-il du bon dans ces années de gestation, qui lui ont donné le temps de préparer sa véritable entrée en solo, armée d’un répertoire qu’elle signe à part entière, paroles et musique.
Il serait facile de classer Pépins (Productions La Grange/Distribution APCM) au rayon «folk» et d’en rester là. Après tout, Anique compose à la guitare et s’accompagne d’instruments majoritairement acoustiques.
Mais ce ne serait pas rendre justice à cet album longuement mûri, tant sur le plan de l’écriture que des orchestrations, et qui contient assez de «hooks» pour espérer accrocher un plus vaste public. Un exemple parmi d’autres: Particulièrement naïve vous met pratiquement au défi de ne pas chanter son refrain qui vous reste en mémoire longtemps malgré la présence d’un banjo, instrument qu’on retrouve rarement chez les abonnés des palmarès.
Bien qu’elle la joue un petit peu trop librement sur le mode confessionnel, présumant que ses moindres états d’âme – et de chair – ont de quoi nous intéresser, Anique mise sur sa grande musicalité et un bagage d’images qui nous interpellent pour éviter l’écueil du nombrilisme, réalisant le genre de numéro de funambule musical et poétique auquel on associe Joni Mitchell, ce qui n’est pas peu dire.
Pour chaque passage qui semble tiré du journal intime d’une adolescente précoce («Je me fais des idées/Mais au moins je sais que ce sont les miennes»), Anique brosse, à coup de métaphores inspirées, une poignée de tableaux qui s’écoutent avec les yeux, comme autant de petits films dont elle tient le rôle principal («Je voudrais être l’Alaska l’été/Pour tous les livres que je n’ai pas encore lus/Pour les cafés à tes côtés/Que je n’ai pas encore bus/Pour éterniser la matinée/Mais je n’ai rien contre la nuit»).