L’amie du léopard

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Publié 05/02/2008 par Pierre Léon

C’est un Brésilien qui revient de la chasse.

– J’étais perdu, en pleine forêt. C’était terrible. Une chaleur étouffante. La pluie à torrents. Des serpents partout. Des lianes inextricables. Et tout à coup, juste en face, tapi sur une branche, un léopard! Énorme! Il s’apprête à sauter sur moi. Alors, je saisis mon fusil. Je vois qu’il va bondir, il bondit!…

Là le chasseur s’arrête, sûr de son effet et, dans le silence de l’assemblée, quelqu’un s’écrie :
– Et il vous a mangé!

Évidemment, explosion de rigolade. Alors, le chasseur, sans se démonter, réplique :
– Est-ce que vous êtes mon ami ou l’ami du léopard?

Cette histoire brésilienne fait partie du folklore et est censée expliquer l’expression populaire pour dire poliment à quelqu’un qui vous interrompt dans une histoire, et surtout une blague, qu’il est «l’ami du léopard».

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Je pensais à cette répartie, il y a quelque temps au Salon du Livre de Montréal quand une jeune dame est venue jouer l’amie du léopard près de moi. J’étais en train de faire des tours de magie, (à mon niveau élémentaire) entouré d’un groupe d’enfants passionnés. Mais il est facile d’émerveiller des petits.

La dame s’est approchée de moi et a crié à mes spectateurs:
– C’est facile, y a un truc! Il a mis un fil de fer dans son foulard!

J’ai, évidemment, montré facilement aux enfants qu’il n’y avait rien de tel dans mon foulard. Mais la dame insistait:
– Si, si! Prenez-le, vous allez voir! Allez, vous lui prenez!

Mais les mômes se sont mis de mon côté et la dame s’en est allée. L’un d’eux a dit:
– Elle est bête ou méchante, celle-là. Peut-être jalouse!

Je ne suis pas loin de croire les trois. Le monde du spectacle est illusion. Il suppose une adhésion à une croyance. La dame incrédule pourrait aussi bien interpeller les acteurs d’un théâtre et prévenir les spectateurs qu’ils ont affaire à des imposteurs puisque les personnages en scène ne sont ni Harpagon, ni Alceste mais de ces copains à elle.

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La magie du spectacle ressemble plus encore à celle de la religion. Tant qu’on accepte d’y croire, on est dans le merveilleux. Dès qu’on se met à raisonner, le doute vient tout détruire. La magie, en tant que jeu, exige de retrouver l’esprit d’enfance et de se laisser porter par une foi sans danger. Et puis les hommes ne s’en servent pas pour faire la guerre!

Pour revenir aux amis du léopard, on les trouve souvent dans les cercles des raconteurs de blagues. Ils admettent difficilement que quelqu’un en raconte une qui fait partie de leur répertoire, et j’admire les Anglais qui disent:
– Un gentleman, c’est quelqu’un qui entend toujours une histoire pour la première fois.

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