Les refrains de Serge Rezvani devraient être payés par le régime d’assurance-maladie: comme baume anti-déprime, en effet, ni la médecine, ni la chanson n’ont su trouver mieux. Ils possèdent l’humour, la tendresse, la surprise, ils jouent avec les mots et les notes, brodant des mélodies d’apparence si simple mais qui nous séduisent par leurs modulations imprévisibles. On les croirait sortis de notre souvenir commun, celui des cours de récré, des vacances d’été, des voyages en voiture (à l’époque où, à défaut de radio, ils faisaient passer les kilomètres), et pourtant ils viennent de l’esprit tendre et tordu d’un seul homme.
Si l’œuvre de Rezvani a admirablement vieilli, c’est parce qu’elle nous parle de choses universelles et intemporelles: le bonheur de ne rien faire, les mots du quotidien qui forgent la complicité amoureuse, la reconnaissance de notre humanité jusque dans nos petits travers et, surtout, la nécessité de mordre dans la vie avant qu’il ne soit trop tard. Même le meurtre y est évoqué avec un clin d’œil, d’une façon qui n’est pas sans rappeler le regard cinématographique joyeusement macabre de Claude Chabrol.
Inspiré par sa femme Lula dans la vraie vie, le bouquet de chansonnettes de Rezvani sera toujours associé à la voix de Jeanne Moreau, d’abord avec Le tourbillon, un moment de magie pure du film Jules et Jim, puis sur quelques microsillons qu’elle nous avait offerts dans les années 60, sous la tutelle d’un Jacques Canetti qui avait tout compris.
Le défi, pour toute autre interprète désireuse de s’approprier ces chansons, est de trouver une façon de ne pas faire à la Moreau, tout en restant fidèle à cette architecture à la fois légère et rigoureuse. Et cela, l’interprète Helena Noguerra (on y vient!) l’a parfaitement compris. Ce qui fait le miracle de Fraise vanille (Universal Special Import), c’est que chacune de ses 19 mélodies y reçoit un habillage tout à fait inédit, tantôt très actuel (le boogie technoïde de La vie s’envole), tantôt jazzy (Vie de cocagne, réduit à un duo entre voix et batterie).
Et puisque les chansons de Rezvani sont des moments de complicité, il était tout naturel qu’Helena y convie quelques voix amies, dont celle de Vincent Delerm (Les mots de rien), de Marie-France (un Jamais je ne t’ai dit doucement érotique), de son mari Katerine (sur ce chef d’œuvre de simplicité qu’est La bécasse) sans oublier l’auteur lui-même, le temps d’un Nous vivions deux qui confirme que, de tous les poètes de la chanson, il est sans doute le plus fidèle héritier de Prévert.