Dubreuilville: le village d’une famille en pleine forêt

Pour la langue, la famille et les affaires

Patrice Dubreuil entend bien redonner à Dubreuilville ses lettres de noblesse en matière de sports motorisés. Photo: What a Ride/Histoires de sentiers
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Publié 02/07/2020 par Andréanne Joly

On retrouve un peu partout au Canada des villes et des villages qui ont une histoire hors du commun. C’est le cas du village de Dubreuilville dans le Nord de l’Ontario.

Construit dans les années 1960 par quatre frères qui, en plus d’avoir les affaires en tête, avaient à cœur la famille et la langue. Malgré les difficultés de l’industrie forestière, Dubreuilville demeure, encore aujourd’hui, un village innovant.

«C’est joli!». lance d’emblée l’historien Serge Dupuis. Le Nord-Ontarien a visité le village lors de recherches qui ont mené à la publication du livre Les Dubreuil et le bois. Une histoire de Dubreuilville, paru aux éditions Prise de parole en 2018.

«Il y a des lacs, de belles pistes de motoneige, de belles plaines pour la chasse et le plein air. La route le long du lac Supérieur est très belle», décrit encore M. Dupuis.

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En plus, ce village qui se trouve à 30 km de la Transcanadienne et à 73 km du village voisin a une histoire fort colorée, foi d’historien!

Un village privé

La naissance de Dubreuilville vaut le détour.

Après la difficile expérience de gestion d’un camp forestier, où règne une violence interethnique, Napoléon Dubreuil envisage de créer un campement exclusivement francophone. C’était en 1948, et Napoléon était l’ainé de quatre frères originaires de l’Abitibi qui avaient lancé, trois ans plus tôt, la compagnie forestière Dubreuil Frères Enr.

À l’époque, l’industrie forestière ontarienne connait des ratés de rétention et d’hébergement de la main-d’œuvre. C’est pourquoi les frères Dubreuil décident que leur entreprise rassemblera ses employés avec leur famille. Le recrutement se concentre en Abitibi, où est établi le reste du clan Dubreuil, en Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent.

Un premier établissement de 12 familles voit le jour en 1949, puis un deuxième de 20 familles en 1951. Le village qu’on connait aujourd’hui émerge en 1961, après l’achat d’un terrain de 63 acres (36 terrains de football) près de la voie ferrée de l’Algoma Central Railway.

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En quelques mois apparaissent une scierie, un planeur, des maisons (avec eau courante, électricité, chauffage), une école, une route de 30 km menant à la Transcanadienne et… une barrière.

Le village de Dubreuilville en 1963, soit deux ans après sa fondation. Photo: Collection de la famille Dubreuil

Paternalistes ou à leur affaire?

La guérite qui se dressait à l’entrée du chemin est devenue le symbole de l’omniprésence familiale dans l’administration de l’entreprise et du village.

«Il faut faire la part des choses», modère l’historien Serge Dupuis qui rappelle que oui, il y avait une barrière pour gérer la circulation sur la route à une seule voie. Oui, peu d’argent circulait dans Dubreuilville parce que «l’épicerie pouvait être déduite de la paie de Monsieur». Oui, le magasin général et les maisons appartenaient à la compagnie.

Serge Dupuis

Pour M. Dupuis, «il y a beaucoup d’autres niveaux qui rendent l’histoire plus riche».

C’est le cas du désengagement de la compagnie au milieu des années 1970, alors que la province crée un district d’amélioration, ouvre un poste de police et ajoute le chemin de 30 km à son réseau routier.

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C’est aussi le cas de la vie sociale, avec la présence de clubs et d’un centre communautaire. «C’était un milieu où l’on pouvait s’amuser, il y avait une riche qualité de vie, un esprit d’entraide ancré», nuance M. Dupuis.

Experts de l’optimisation

Au-delà du village, l’évolution de l’entreprise mérite l’attention, estime l’historien et auteur sudburois Mike Commito, qui a étudié les activités forestières du Nord de l’Ontario dans les années 1950.

Selon lui, les Dubreuil n’ont pas lésiné sur la création de leur village. «À cette époque, d’autres entreprises avaient des établissements pour que leurs travailleurs puissent être près du site, mais plusieurs de ces lieux étaient très rudimentaires», indique-t-il.

Les entrepreneurs ont fait preuve d’une planification et d’une efficacité hors du commun. Serge Dupuis ajoute: «À partir de terres marécageuses, ils ont réussi à créer un village qui hébergerait 1000 personnes à son apogée.»

Mike Commito croit que l’apport des Dubreuil au secteur forestier mérite d’être mieux connu.

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«En faisant de la recherche, on est exposé à tout ce qu’ils ont fait. Beaucoup de petites entreprises, en général, doivent être novatrices. Je crois qu’ils se sont dépassés.»

L’exemple classique, c’est bien le Sputnik, une chargeuse qui transportait l’arbre en longueur à la scierie, inventée par Augustin en 1958 et commercialisée au Canada, aux États-Unis et en Suède. Dès lors, l’innovation est devenue la marque de l’entreprise, pèse Commito.

Mais Serge Dupuis met un bémol: si les entrepreneurs Dubreuil ont fait preuve d’innovation technique, «il y avait beaucoup de patenteux dans le Nord de l’Ontario». Il préfère parler d’esprit d’optimisation plutôt que d’innovation, reconnaissant que les Dubreuil «étaient très débrouillards et pouvaient faire beaucoup avec peu».

L’église de Dubreuilville porte le nom de Sainte-Cécile, le prénom de la mère des frères Dubreuil. Elle a été entièrement construite en bois par des volontaires. Photo: Collection de la famille Dubreuil

Un héritage

Les Dubreuil étaient fiers de leurs réalisations. Les notes de Napoléon, de son frère Augustin et de leur sœur Pâquerette sont devenues des mémoires de 150 pages. À son tour, Patrice Dubreuil, petit-fils d’un des frères entrepreneurs, a demandé à Serge Dupuis d’écrire l’histoire de sa famille, de l’entreprise et de son village.

«C’est important que mes enfants sachent pourquoi leur nom de famille se rattache à une communauté du Nord de l’Ontario», explique celui qui a fait documenter les accomplissements de ses aïeux, tant au chapitre des innovations technologiques que de leur apport social et communautaire de la grande région nord-ontarienne.

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«C’est plein de couleurs, relève M. Dupuis. Il y a beaucoup d’aventures, il y a beaucoup d’amour. Il y a des tristesses et des échecs, mais beaucoup de joie de vivre aussi.»

À Dubreuilville, les premières rues ont porté le nom des essences locales. Photo: Andréanne Joly

Tournée vers l’avenir

En 2008, la scierie a fermé ses portes après être passée aux mains de compagnies extérieures depuis 1989.

Après ses études, en 1994, Patrice Dubreuil est revenu préparer les commerces familiaux pour leur vente. Il a eu la piqure des affaires. Il a fait le saut en 2013 et a acheté le motel et le restaurant, autrefois à ses parents. Puis il a repris un garage, des dortoirs et la station-service, aujourd’hui utilisés par des minières.

Les mines d’or emploient de 150 à 200 résidants de Dubreuilville. «Il y a beaucoup de concessions dormantes, alors il y a de l’espoir que le moulin rouvre ou que les mines intensifient leurs activités», dépeint Serge Dupuis.

Patrice Dubreuil mise aussi sur le tourisme. Le motel a une nouvelle vocation : il accueille des employés des mines comme des amateurs de sports motorisés. Pour ces derniers, il a aménagé un réseau de sentiers.

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De plus, il compte attirer ThermalWood Canada, une entreprise néobrunswickoise de transformation du bois, à Dubreuilville. «J’aimerais amener cette technologie afin de créer d’autres emplois et diversifier l’économie, tout en faisant un retour vers nos racines, le bois.»

Il rêve du moment où le nom de Dubreuilville sera estampillé à nouveau sur une planche de bois. «Après tout, c’est notre raison d’exister», conclut Patrice Dubreuil.

Auteur

  • Andréanne Joly

    À titre de journaliste et de rédactrice, Andréanne Joly couvre les communautés francophones de l'Ontario et du Canada depuis 25 ans. Elle collabore notamment avec Francopresse, Le Voyageur de Sudbury et L'Express de Toronto. Elle travaille principalement à des dossiers liés à l'histoire, à la culture et au tourisme.

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