Je ne manque jamais l’occasion d’écouter un nouvel enregistrement de la Rhapsody In Blue de George Gershwin, qui remonte à 1924, à l’époque où son énergie débridée et jouissive était synonyme d’une Amérique qui se saoulait de sa modernité naissante.
Hormis les versions plus «classiques» (celle de Leonard Bernstein, gravée en 1959, demeure le jalon suprême), la partition a été abordée avec une artillerie légère – un quatuor à cordes remplaçant l’orchestre! – par le Willem Breuker Kollektief, pour ensuite donner lieu à la relecture controversée du pianiste américain Marcus Roberts, dont les écarts vis-à-vis de la partition se justifiaient, selon lui, du fait que Rhapsody In Blue était un hommage symphonique au jazz et que le jazz, au départ, est le langage privilégié de l’improvisation.
Quant à la version pour piano mécanique que Gershwin avait lui même gravée (ou «perforée») sur piano mécanique en 1925 et dont l’enregistrement numérisé est paru sur le fascinant Gershwin Plays Gershwin – The Piano Rolls, elle nous rappelle la nature profondément pianistique de cette œuvre qui, hormis le célèbre glissando de clarinette initial, ne souffrait pas de se voir ainsi transcrite pour 88 touches.
Sans sacrifier l’enthousiasme ni la vélocité de cette version historique, le pianiste Matt Herskowitz nous en propose une lecture tout aussi fougueuse mais plus plus nuancée sur Matt Herskowitz Plays George Gershwin (Disques Tout Crin/Fusion III).
Le défi, pour ce New-Yorkais de souche et Montréalais d’adoption, était de rester fidèle à l’esprit de la partition, et donc à ses débordements frisant le mauvais goût, tout en rendant compte, dans la mesure du possible, de tous les détails orchestraux, notamment des fréquentes éclaboussures des cuivres et des percussions.