Pour une clarification du multiculturalisme

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Publié 09/10/2007 par Aline Noguès

Jean Baubérot a offert mercredi dernier au public de l’Alliance française une conférence éclairée sur les limites et les atouts du multiculturalisme. Loin de tomber dans des faux débats, il a su présenter avec clarté et sens de la nuance les enjeux liés au multiculturalisme canadien. Jean Baubérot est Docteur en Histoire et Docteur d’Etat ès-Lettres et Sciences Humaines. Il est le titulaire de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité» et le Président d’honneur de l’École Pratique des Hautes Études.

Jean Baubérot a débuté sa présentation par une critique de la seconde partie du film de Dominique Cardona La Charia au Canada. Ce film portait sur le débat qui a secoué l’Ontario en 2004: la possibilité de mettre en place des tribunaux islamiques appliquant la charia.

Pour lui, le principal mérite de ce film est de donner la parole aux femmes musulmanes et de montrer la diversité des opinions chez les musulmans eux-mêmes. Mais il s’est aussi interrogé sur la pertinence de certains aspects du documentaire.

Tout d’abord, il en a regretté l’ambiguïté: comment un film qui se prétend purement informatif peut-il choisir un sous-titre aussi éloquent que «Les pièges du multiculturalisme»?

Il a également mis en doute la statistique utilisée dans le film et qui fait de l’Islam la deuxième religion du Canada après la religion catholique. Où sont donc passés les protestants? Ces musulmans comptabilisés sont-ils réellement pratiquants ou bien sont ils seulement issus d’une culture musulmane?

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Enfin, il s’est étonné de l’absence dans le film d’un penseur clé du multiculturalisme: Will Kymlicka, professeur en philosophie politique à l’Université Queen de Kingston. Will Kymlicka rappelle pourtant que le lien fait entre la politique de multiculturalisme (promue au niveau fédéral) et la question des tribunaux religieux (gérée au niveau provincial) est loin d’être évident! Le documentaire élude donc une question essentielle: Ce débat sur les tribunaux islamiques relevait-il vraiment du multiculturalisme?

Jean Baubérot s’est ensuite lancé dans une conférence sur la manière d’aborder le multiculturalisme au Canada. La question n’est pas de savoir si celui-ci est positif ou négatif pour le pays et si ce modèle est meilleur ou moins bon que le modèle laïc français.

Il remarque cependant que cette politique a peut-être du bon: «De nombreuses femmes interrogées dans le film se disent fières d’être canadiennes. Il est peu probable que l’on ait le même enthousiasme en France! Et puis, le Canada n’a pas connu de révoltes comme dans les banlieues françaises en 2005. Est-ce que cela tient au multiculturalisme? Peut-être.»

Mais le débat va au-delà d’une position binaire, pour ou contre le multiculturalisme. Pour Jean Baubérot, il faut avant tout admettre que les «frottements culturels» sont inhérents aux sociétés multiculturelles et être capable de négocier: «On ne peut être dans une problématique du tout ou rien.»

Le Canada est un laboratoire du multiculturalisme et fonctionne à tâtons, le modèle bouge donc au fil du temps: «Il faut clarifier le multiculturalisme, ses principes et ses limites, et les Canadiens doivent définir ce qui pour eux est négociable et ce qui ne l’est pas. Quand quelque chose n’est pas négociable – comme la libération de la femme –, faire passer le message à ceux qui ne l’ont pas compris est une question de pédagogie.»

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Pour Jean Baubérot, la clarification du multiculturalisme canadien doit se faire rapidement car sans cela, deux dangers se présenteront. «D’un côté, certains immigrants ne comprendront pas le cadre dans lequel ils évoluent tandis que d’autres essaieront d’instrumentaliser le multiculturalisme. D’un autre côté, on assistera à un raidissement des anciens Canadiens qui se sentiront mis sur la touche.»

Alors que des débats sur les accommodements raisonnables et sur le multiculturalisme ont fait la une ces dernières années, particulièrement au Québec, Jean Baubérot adresse deux mises en garde face à la tentation du rejet: «Il faut d’une part que la clarification de ce qu’est le multiculturalisme canadien se fasse dans les deux sens, que les nouveaux arrivants n’aient pas l’impression que l’Histoire du pays s’est arrêtée et qu’ils n’ont plus qu’à tout avaler sans apporter leur pierre à l’édifice. D’autre part, il faut éviter de se construire une Histoire légendaire et idyllique qui s’opposerait à un présent rendu problématique par les immigrants.»

En conclusion, Jean Baubérot a rappelé que le biculturalisme des individus est un atout: «Vivre dans deux cultures est une force, cela demande une gymnastique intellectuelle qui permet de mieux comprendre encore les autres cultures. Développer cette gymnastique est un combat à mener, c’est là tout le défi du multiculturalisme!»

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