Dessine-moi un mouton

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Publié 21/08/2007 par Nancy Leblanc

La drôle de voix du petit prince demanda à St-Exupéry: «SVP…dessine-moi un mouton.» Mais l’aviateur ne savait pas dessiner. Il se rappelait qu’alors qu’il était enfant, il avait dessiné un serpent boa qui digérait un éléphant. Mais les adultes n’avaient pas reconnu l’éléphant.

Le texte de St-Exupéry présente avec une belle naïveté la réalité de l’enfant qui veut dessiner. Il nous confie que «… les grandes personnes m’ont conseillé de laisser de côté les dessins de serpents boas et de m’intéresser plutôt à la géographie, à l’histoire, au calcul et à la grammaire. C’est ainsi que j’ai abandonné, à l’âge de six ans, une magnifique carrière de peintre. J’avais été découragé par l’insuccès de mon dessin.»

Langage symbolique

Le panneau de signalisation routière qui représente un homme penché avec une pelle signifie qu’une zone de travaux approche. Le sigle en forme de la lettre M de McDonald est un symbole qu’on reconnaît aisément, nous indiquant qu’on peut s’y nourrir.

Ces dessins sont une forme de langage lue et comprise par la communauté. Même un enfant de deux ans peut lire ces images, en autant que sa communauté lui aura appris la signification de ces symboles.

Les dessins sont donc l’expression d’un langage symbolique dont le dictionnaire des significations appartient à l’initiateur du dessin. Artiste ou écrivain, il s’agit dans tous les cas d’un mode d’expression pour l’émetteur.

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Ma perception du monde

Le dessin est en effet un médium qui permet à l’individu de mettre en forme une histoire qu’il s’invente. Une histoire composée à partir de son propre vécu. L’importance du dessin n’est donc pas la qualité esthétique mais ce qu’il raconte.

L’artiste intègre dans son dessin ce qui l’intéresse. Les enfants dessinent souvent la même chose pendant plusieurs semaines. Ils redessinent afin de mieux comprendre cette partie de la réalité.

St-Exupéry mentionnait, alors qu’il était enfant, qu’il avait vu «une magnifique image dans un livre sur la forêt vierge. Elle représentait un serpent boa qui avalait un fauve. On disait dans le livre: ‘Les serpents boas avalent leur proie tout entière, sans la mâcher. Ensuite ils ne peuvent plus bouger et ils dorment pendant les six mois de leur digestion’.»

L’explication liée à cette image a excité son imagination et pour intégrer cette nouvelle information, il a dessiné et redessiné ce serpent boa. L’enfant qui dessine souvent sa famille essaie d’intégrer une nouvelle réalité familiale, celui qui reproduit toujours une voiture tente de comprendre son fonctionnement et un autre qui s’investi dans les personnages Transformers veut imiter son héro d’une manière que lui seul connaît vraiment.

On peut donc tenter d’expliquer les dessins des enfants mais ce sont eux seuls qui possèdent la clé de leur dictionnaire symbolique. Il est alors préférable de leur demander de nous raconter leur dessin. On évite ainsi d’émettre des explications fausses qui frustrent l’enfant, n’ayant pas reconnu l’évidence dessinée du serpent boa qui digère un éléphant.

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Dessin thérapeutique

Le dessin est d’ailleurs une technique d’intervention en psychologie. Les individus sont parfois incapables de mettre des mots sur ce qu’ils ressentent soit parce que l’expression de leur vécu se situe au niveau inconscient ou bien parce qu’ils ne trouvent pas le mot qui décrit si bien l’émotion dans leur vocabulaire.

Le papier et le crayon deviennent un outil de langage sur lequel le patient peut y déposer son histoire. Il y inscrit son histoire réelle et peut par la suite la reconstruire selon ses désirs. L’individu en reprend le contrôle, l’expérimente dans le dessin et tente ensuite de l’appliquer dans la réalité.

Du bonhomme têtard au bonhomme complet

Le poupon a des gestes imprécis et il prend tout à bras le corps. Le jouet est pris par la main grande ouverte et apporté près du haut du tronc. Si on lui donne une grosse craie dans chaque main, de toute sa poigne il exécutera des grands traits de gauche à droite et de droite à gauche. Une immense feuille est de mise pour le tout-petit afin qu’il ouvre large ses bras et sa cage thoracique pour mieux respirer et ainsi s’exprimer par ses gribouillis.

Après avoir exploré les lignes, il explorera les cercles concentriques. C’est le stade dit d’exploration.

Le poupon découvre le monde par ce qui passe dans sa bouche via son bras et sa main. Sa bouche est donc la partie la plus importante de son corps. Elle est la représentation qu’il a de lui-même.

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Lorsque le bambin commence à dessiner, il se représente comme une grande bouche, un cercle. À ce cercle, s’ajoute graduellement les parties du corps qu’il découvre et conscientise. On voit apparaître les yeux et la bouche, ensuite viennent les bras et plus tard des jambes attachées directement au grand cercle qu’est son corps.

Même si le parent enseigne les mots pour les parties du corps à l’enfant et qu’il les dessine sur le bonhomme de l’enfant, son développement psychique ne lui permettra pas de comprendre. Il faut lui laisser le temps de vivre sa période de bonhomme têtard et lui-même détaillera son bonhomme jusqu’à l’âge de l’adolescence. Son cerveau aura alors atteint la maturité du stade pictural.

St-Exupéry dessina finalement une caisse en disant au petit prince: «Le mouton que tu veux est dedans.» Et le petit prince parti le visage illuminé avec son petit mouton endormi.

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