35 heures à Torontonamo

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Publié 06/07/2010 par Olivier Lamoureux-Lafleur

Je vais vous raconter une petite histoire, qui à première vue semble surréaliste, voire fantastique, mais qui est tout aussi réelle que je l’ai vécu. Une fin de semaine de manifestations contre le G20 effectuée de façon pacifiste pour ma part et ceux qui m’accompagnaient.

Le tout a tourné au vinaigre dimanche matin à 9h40 dans le quartier chinois de Toronto, alors que nous nous apprêtions à aller déjeuner. Une vingtaine de policiers à vélo nous ont interceptés et sur-le-champ nous ont demandé de nous coucher sur le sol sans quoi ils étaient pour le faire.

Plusieurs d’entre eux nous ont dit littéralement qu’ils auraient bien aimé nous croiser dans une ruelle, un endroit facilitant la manutention des suspects.

Anti-francophone

Le premier policier qui s’est occupé de moi m’a dit à plusieurs reprises «You are a fucking piece of shit and Toronto doesn’t want stupid French Canadians here anymore».

J’ai eu droit, comme cela fut le cas pour la grande partie des suspects à me faire dire «Who should I call after your death?». Une question qui, à premier égard, ne semble pas très sympathique, ne semble pas très légale, ne semble pas correspondre aux droits et libertés que notre grande constitution canadienne nous offre.

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Humiliations et menaces étaient au rendez-vous et cela continuera pendant mes 32 heures de détention.

Nous sommes donc embarqués dans le camion de police où nous avons croupi pendant quatre longues heures sans trop savoir ce qui se passait. Nous avions hâte de sortir de ce panier à salade, mais rendus à la prison, située dans un ancien studio de production cinématographique, nous avons réalisé que le pire était à venir.

Les «fucking French Canadians» allaient donc devoir attendre dans l’angoisse et le stress pendant des heures dans une prison qui étrangement ressemblait à tout ce que nous avons vu en Afghanistan ou à Guantanamo.

Toilettes sans porte

Nous étions donc 25 entassés dans une cellule clôturée faisant environ quinze pieds par quinze pieds dans laquelle se trouvait une toilette qui n’avait pas de porte à l’avant, question de faire nos besoins devant la police et nos camarades.

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Une mesure d’humiliation qui sera probablement cautionnée par la police en disant que nous aurions pu nous cacher dans la toilette pour commettre un quelconque acte. Mais quel genre d’actes aurions pu y commettre puisque nous avions tous les mains attachées avec des «tie wraps»?

En plus de cela, plusieurs d’entre nous n’avaient plus de souliers dans les pieds, sous prétexte que le cordon de nos souliers aurait pu servir d’arme. Effectivement, un cordon de soulier peut faire de grands dommages lorsqu’il est utilisé contre les forces de l’ordre…

Question d’avancer plus rapidement dans le fil de l’histoire, je passerai certains détails humiliants et dégradants.

Repas santé

Nous sommes rendus à 15h l’après-midi. Mon premier repas, digne des grands dignitaires, me sera servi. Deux tranches de pain blanc tartinées de margarine avec une tranche de fromage de soja et une ration d’eau d’environ 100 millilitres.

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En 32 heures de détention, je mangerai quatre fois ce repas, qui, à mon humble avis ne serait pas cautionné par Santé Canada, et j’aurai droit à quatre maigres rations d’eau. 400 millilitres d’eau m’ont été offerts en 32 heures, alors que nous savons tous que nous devons boire deux litres d’eau par jour.

Vêtements incriminant

J’attendais qu’on vienne me chercher pour savoir de quoi on allait m’accuser, car ma première accusation fut de porter un costume pouvant mener à des actes criminels.

De quoi était-il composé? Un foulard pro-Palestine, un chandail noir du groupe de musique Against me, des lunettes de natation pour éviter de recevoir des gaz lacrymogènes, une petite laine noire et rouge avec le nom d’une compagnie de planche à roulettes. Il n’en fallait pas plus, j’étais un criminel, un membre officiel du Black Bloc, et je devais être traité comme un taliban.

Ah, ce Canadian way of life, comme il me semblait si loin…

Suspects tabassé

Il était donc 21h du soir, j’attendais déjà depuis 12 bonnes heures de passer devant le premier interrogatoire. Certains d’entre-nous partaient et ne revenaient pas, d’autres revenaient avec des charges les plus diverses.

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Que cela tienne du mythe ou de la réalité, un suspect aurait même été accusé de parler français à Toronto, une ville qui finira rapidement par être baptisée Torontanamo, en référence à Guantanamo.

D’autres, plus chanceux dans leur malchance, partaient plus rapidement puisqu’ils avaient été tabassés par la police. Un d’entre eux aura eu huit points de suture au menton, un autre plusieurs pansements au visage puisqu’il saignait abondamment. Bref, les animaux de la ferme attendaient toujours de passer devant la cour.

Menaces de vio

Plusieurs personnes n’auront pas eu la force de passer au travers cette rude épreuve. Des ami(e)s à moi se seront littéralement écroulés en larme dans la cellule, d’autres auront crié de toute leur force leur incompréhension.

Mes amies m’auront même raconté qu’elles se sont fait dire à de multiples reprises «You know that you could get raped in jail?».

Heureusement, aucune d’entre elles n’aura été violée, et je ne crois pas non plus que cela aurait pu se produire, car nous parlons bien d’intimidation ici.

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Mais jusqu’à quel point peut-on réellement anéantir un individu, un citoyen Canadien, dans un pays, soi-disant, qui prétend offrir la crème des droits et liberté? La limite, elle fut franchie à Torontanamo ce week-end.

Les vraies prisons sont meilleure

Chose intéressante, un suspect torontois qui était dans la même cellule que moi, et qui a été arrêté pour possession d’arme, me disait qu’il n’avait rien avoir avec le G20, et qu’il s’en contrefoutait de nos revendications. Il me disait que dans une réelle prison les conditions de détention sont drastiquement meilleures.

Il aura demandé aux policiers une dizaine de fois à être déporté dans une prison en avouant son crime, car il ne se pouvait plus dans cette cellule.

Pas de couverture

Pendant ma nuit de détention entre dimanche et lundi, aucune couverture ne nous a été offerte et nous avons dû dormir sur le sol en béton. Comme si cela n’était pas assez, la froideur du lieu allait le transformer en un immense congélateur.

La climatisation de la prison allait rendre nos conditions de détention des plus pénibles. C’est pourquoi nous avons demandé à un agent de nous apporter des couvertures. Ce qu’il nous répondra donne froid dans le dos: «Nous ne voulons pas vous donnez de couvertures, car vous allez vous donner un malin plaisir à vous pendre avec.»

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Solidarité oblige, nous avons tous dormi collés l’un sur l’autre en grelottant.

Fouille à n

Après 28 heures de détention, chose qui est illégale lorsque l’on est détenu sans preuve, j’ai finalement passé devant le premier jury. Tout cela c’est bien déroulé, le sergent n’était pas oppressif, comme la grande majorité d’entre eux.

Je suis ensuite passé à la fouille à nu. Était-ce vraiment nécessaire que je me balade nu devant des policiers qui me regardaient en me dénigrant?

Tout comme le fait que plusieurs filles se soient dévêtues devant certains policiers hommes, qui s’en sont donnés à coeur joie de les observer.

À vous de juger, c’est avec une force incroyable que nous avons passé, nous, environ 350 Québécois et 550 autres de provenance multiple, au travers de cette grande opération qui aura pris des ampleurs de répression considérable.

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«See you in court?

Je quitterai finalement ma cellule vers 14h le lundi 28 juin 2010, sans avoir eu recours à un avocat, une autre chose illégale, et après avoir subit ce calvaire, après avoir été un phénomène de cirque, après avoir été un «stupid French-Canadian», après avoir été considéré comme un terroriste, un conspirationniste, un membre officiel du Black Bloc.

Aucune accusation n’a été retenue contre moi et, en signant la paperasse de libération, j’ai tenu à dire au sergent que mes droits ont été entièrement bafoués à l’intérieur de cette maudite prison, et que je n’avais même pas eu droit à un avocat. Sa réponse? «You wanna go back in jail mister Lamoureux?»

À cela, je lui ai répondu en tremblant, «No, but I will see you eventually in court for all what you’ve done to us.» Ce que j’ai vécu, tous ceux qui ont visité cette prison l’ont vécu sensiblement de la même façon ou pire.

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