Comme tous les enfants du sud qui rêvaient de pénétrer le «paradis canadien», j’avais, après des mois d’hésitation, tenté ma chance. Avant de concrétiser ce rêve qui, après tout, n’en était pas un, j’ai rompu bien des lances et sacrifié plus d’un besoin.
Qu’importe d’ailleurs, me suis-je dit, de brûler la chandelle par ses deux bouts puisque le soleil apparaîtrait au détour d’une formalité administrative! Après tout, la feuille d’érable, si chère et si sacrée aux yeux des Canadiens, me paraissait tellement précieuse que j’eus été tenté d’ouvrir mon portefeuille et de claquer sans compter! Mais les choses ne sont pas souvent comme on les imagine. Surtout quand l’ombre se fait plus belle et plus grande que la proie.
Je suis arrivé au Canada avec comme seul bagage, des diplômes et beaucoup de bonnes intentions. Comme je ne voulais pas perdre mon temps, je me suis mis, aussitôt, à envoyer des demandes de recrutement. En deux semaines, j’ai sollicité près 500 entreprises. Aucune réponse! «Tu veux tout avoir en si peu de temps!», m’a fait remarquer un ami. Il avait peut-être raison, me suis-je dit. J’ai pris mon mal en patience en attendant que mon sort se montre plus bienveillant.
Après des mois de dèche, de lassitude et de désespoir, je me suis déniché un boulot comme… téléphoniste, une «jobinette», somme toute, réservée aux étrangers. Dans l’exercice de «mon» métier, je me fais insulter dix à vingt fois par jours par des clients qui cèdent facilement aux tentations racistes. C’est au prix de ce mépris que je gagne quelques sous me permettant de vivoter en plein «paradis canadien».
Le Canada n’est, au bout du compte, qu’un vaste univers d’illusions. Des journalistes étrangers travaillent comme vendeurs de légumes, des médecins se retrouvent aides soignants (et encore!), des enseignants se convertissent en camelots ou déménageurs, des architectes en couvreurs, des ingénieurs en cueilleurs de fraises…