Idéologie + contexte = radicalisation

Le prof Miloud Chennoufi décortique DAESH

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Publié 01/12/2015 par Louise Mayer

Parmi les islamistes, on trouve des démocrates illibéraux, des adeptes de la théocratie shiite, les Frères musulmans et le salafisme. «Ce dernier est le groupe le plus problématique», selon Miloud Chennoufi, professeur au Collège des Forces canadiennes à Toronto, qui a aussi été journaliste en Algérie durant les années 1990.

Devant une salle comble à l’Alliance française le 26 novembre dernier, M. Chennoufi a condensé en une conférence sur DAESH (l’acronyme arabe de l’État islamique en Irak et au Levant) le cours de 12 semaines qu’il dispense à Glendon.

Le salafisme représente l’interprétation la plus littérale de l’Islam, a-t-il expliqué. Mais «c’est une négation de l’histoire de l’Islam elle-même». Le salafisme est né dans les contrées les plus arides. «À l’origine, ce n’était qu’une théologie minoritaire jusqu’à ce qu’elle intéresse des acteurs politiques ambitieux au 19e siècle. Après la Première Guerre mondiale, l’Arabie Saoudite est au cœur de cette idéologie.»

Les mots justes

Il est important pour Miloud Chennoufi d’utiliser les mots justes. «L’islam est une religion monothéiste. Elle gère le rapport entre l’individu et le transcendant», précise-t-il avant de différencier l’islamisme et DAESH.

«L’islamisme est une idéologie politique. C’est une réaction au mouvement de modernisation qu’il y a eu au Moyen-Orient à partir du 19e siècle. Tous les musulmans ne sont pas nécessairement islamistes. (…) La sonorité de Daesh en arabe est très négative. Je l’utilise par adversité et pour éviter d’employer ‘‘islamique’’.»

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Car on qualifie d’islamiques des vestiges culturels et institutionnels, pas seulement religieux. «Utiliser ce terme pour DAESH, c’est leur reconnaître une paternité de cet héritage et une autorité. Le déni de cette appellation a une signification profonde.»

Pauvreté intellectuelle

Miloud Chennoufi dénonce «l’extrême pauvreté intellectuelle du propos» chez les salafistes, «raison pour laquelle la radicalisation touche les nouveaux convertis».

Selon Miloud Chennoufi, l’idéologie seule n’est pas responsable de l’actuelle situation. Elle est à lier au contexte.

«On ne peut pas lutter contre l’idéologie: elle est tellement vide qu’il n’y a rien à déconstruire… La militarisation de l’islamisme s’est produite par étapes et a été pratiquée par des apprentis sorciers. Jusqu’à la fin des années 1970, l’islamisme n’était pas un problème. Il y a eu deux lignes de fracture.»

La première, selon le spécialiste, est une guerre froide entre des états progressistes et des états traditionalistes; la deuxième est le conflit israélo-palestinien. De surcroît, deux événements vont avoir un effet dévastateur: la Révolution en Iran et l’invasion soviétique de l’Afghanistan.

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Miloud Chennoufi attribue à l’émergence de DAESH trois raisons: l’invasion de l’Irak par les États-Unis; la politique ethno-communautaire mise en place après l’invasion; la militarisation du Printemps arabe et l’internationalisation du conflit.

Des griefs à l’action

À l’AFT, où cette conférence a été programmée dans le sillage des attentats du 13 novembre à Paris, les questions ont fusé. Le public a notamment voulu comprendre le processus de radicalisation. Miloud Chennoufi l’a résumé en quatre étapes: «griefs, questions, réponses, action».

Selon lui, certains ont un sentiment de discrimination et d’exclusion, notamment les enfants issus des 2e et 3e générations d’immigrés. Une partie d’entre eux se pose des questions.

«C’est à ce moment qu’intervient l’agent de radicalisation. Il commence toujours par une valorisation répétée», décrit Miloud Chennoufi. Lors de cette troisième étape, l’agent introduit la transcendance. Les plus fragiles s’abreuvent de ces réponses et peuvent passer à l’action: le terrorisme.

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