Au début des années 1900, il n’était pas rare qu’un scientifique travaille tout seul dans son laboratoire ou son sous-sol. Aujourd’hui, la moindre des recherches est faite par des équipes allant d’une demi-douzaine à plusieurs douzaines de personnes. Les Nobels de science, qui ne peuvent jamais être remis à plus de trois personnes, sont un anachronisme qui dérange.
Ces prix apportent aux gagnants «une attention disproportionnée» par rapport à leur contribution réelle à la recherche: c’est l’une des raisons que donnait la revue Nature, en éditorial, pour recommander carrément l’abolition des Nobels… en 1975.
En fait, même la phrase «plusieurs douzaines de personnes» est incomplète. Toute percée scientifique s’inscrit dans un processus où plusieurs équipes indépendantes ont pu se concurrencer pendant des années, se contredire puis se compléter, chacune apportant sa petite pierre à l’édifice. Mais comme les trois Nobels scientifiques — médecine, chimie, physique — ne peuvent récompenser que trois personnes chacun, ils entretiennent le mythe du «savant» isolé dans son laboratoire.
Deux chercheurs, Arturo Casadevall et Ferris Fang — à qui l’on doit ces dernières années quelques études sur les dysfonctionnements de l’édition scientifique — écrivaient en 2013: «Le Prix Nobel illustre la théorie historique du ‘grand homme’, cette théorie qui présume que l’Histoire est façonnée par des individus spéciaux qui transforment le monde à travers leur vision unique et autres qualités. […] Toutefois, les historiens modernes reconnaissent qu’il s’agit d’une vision incomplète de la façon dont le monde fonctionne vraiment.»
La règle des trois gagnants — qui n’a pas changé depuis le premier Nobel, en 1901 — «est fondamentalement absurde», écrivait le journaliste Carl Zimmer en 2011. Un «charmant anachronisme», poursuivait le Scientific American en 2012. «Le prix Nobel est-il une bonne chose pour la science?» titraient Casadevall et Fang en 2013.