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Notre cerveau face à une photo

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Publié 15/09/2015 par Agence Science-Presse

La photo a ému le monde entier parce qu’il s’agissait d’un enfant. Et d’un enfant dont la mort semblait si tristement évitable. Mais il y a davantage. Selon les chercheurs, nous serions physiologiquement incapables de ressentir de l’empathie pour les groupes: uniquement les individus, et encore, pas tous.

Le mot du psychologue Paul Bloom semble cruel: «il est impossible d’avoir de l’empathie à l’égard de 7 milliards d’étrangers, ou d’éprouver à l’égard de quelqu’un que vous n’avez jamais rencontré le même degré de préoccupation que vous ressentez pour un enfant, un ami, un amant».

Et en 2005, une recherche en psychologie l’avait presque monétisé: en période de crise, les gens sentent davantage de compassion et donnent davantage d’argent pour des victimes individuelles que pour des groupes de victimes.

Notre cerveau programmé

En soi, les organismes d’aide internationale l’ont depuis longtemps compris, en mettant des visages sur l’aide qu’ils apportent aux pays lointains ou en incitant des donateurs à «parrainer» un enfant. Mais là où il y a quelques décennies, on agissait ainsi intuitivement, les neurosciences se sont mises de la partie: notre cerveau serait carrément programmé pour réagir ainsi.

La réaction émotive à une photo d’enfant qui souffre, explique le psychologue Paul Slovic, c’est la réaction normale de l’humain qui, depuis des centaines de milliers d’années, doit réagir très vite aux menaces qui pèsent sur sa communauté immédiate.

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Du coup, parce que sa survie en dépend, il doit laisser de côté ce qui se passe au-delà de son horizon.
C’est encore plus cruel lorsqu’on apprend que, selon des recherches menées par le même Paul Slovic, l’empathie à l’égard d’un enfant souffrant de famine dans un pays lointain s’amenuiserait… dès qu’on présente un deuxième enfant!

Ailleurs, les psychologues Tehila Kogut et Ilana Ritov ont observé que, face à la même cause charitable, placés devant le même enfant, des gens donnent davantage… s’ils connaissent le nom de l’enfant.

Est-ce que ces comportements auraient même des origines préhumaines? D’autres neurologues, sur la base de ce que la génomique révèle petit à petit, explorent en tout cas comment l’empathie pourrait exister chez les chimpanzés — et comment elle émerge chez le tout jeune enfant.

Davantage d’empathie

Mais toutes ces recherches ne signifient pas pour autant que nous soyons condamnés à réagir comme nos lointains ancêtres. Selon Paul Bloom, «cet intérêt [des chercheurs] n’est pas seulement théorique. Si nous pouvons comprendre comment fonctionne l’empathie, nous pourrions être capables d’en produire davantage».

La plupart des auteurs qui ont réfléchi à l’empathie dans une perspective historique ont en effet conclu qu’elle avait non seulement gagné en importance au fil des siècles, mais qu’en plus, elle pouvait être considérée comme une force dominante de progrès.

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Dans les mots de Steven Pinker, nous vivons dans la société la moins violente — et la plus réfractaire à la violence — de toute l’histoire de l’humanité. Il est difficile de s’en convaincre en regardant les nouvelles au jour le jour, et notre réaction à la photo d’Aylan Kurdi est irrationnelle, en regard des millions d’autres humains qui souffrent.

Mais par rapport à ce qu’aurait été notre réaction il y a quelques siècles, nous avançons… à la vitesse de tortue que permet notre cerveau.

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