Des toponymes français malmenés

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Publié 13/01/2015 par Paul-François Sylvestre

Tout au long de l’année, on soulignera les 400 ans du fait français en Ontario. Bien qu’Étienne Brûlé soit venu en Ontario dès 1610, on s’appuie sur le voyage que Samuel de Champlain fit à l’été 1615 pour arrêter une date anniversaire.

Il faut dire que Brûlé n’a pas laissé la moindre trace de son passage en Ontario, alors que Champlain a écrit un récit détaillé de son voyage qui le conduisit de la rivière des Outaouais à la rivière Mattawa, puis au lac Nipissing, ensuite à la rivière des Français et en fin à la baie Georgienne.

Je voudrais profiter de ce 400e anniversaire pour rappeler que plusieurs noms de lieux ontariens ont une origine bien française, même si cela ne demeure pas toujours évident à une première lecture des cartes géographiques d’aujourd’hui. Un bel exemple est le ruisseau Petticoat Creek dans le comté d’Ontario.

Il faut savoir que durant la période coloniale française, en raison de la légère élévation située à l’embouchure du ruisseau et du lac Ontario, le cours d’eau s’appelait Petite Côte. Après la Conquête, les Anglais ont adopté le nom en l’écrivant au son qu’ils entendaient: ruisseau Petite Côte est devenu Petticoat Creek!

«La toponymie est la science des noms de lieux, les toponymes. Elle étudie leur origine, leur signification aussi bien que leur évolution jusqu’à nos jours. Pour ce faire, la toponymie s’appuie sur les données fournies par l’histoire, la géographie et la linguistique», lit-on dans Toponymie française en Ontario, d’André Lapierre.

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Il y a plusieurs catégories de toponymes, dont les trois plus courants sont: a) une désignation commémorative (Chapleau, Lafontaine), b) une désignation descriptive (Belle Rivière, rivière aux Sables) et c) une désignation anecdotique (rivière au Crédit, Paincourt). Ce sont les toponymes descriptifs qui ont le plus perdu de plumes en Ontario français.

Les cartes de la première moitié du XVIIIe siècle indiquent une Baye du Tonnere ou encore Anse du tonnere. Peu après la Conquête, on a tout simplement traduit et l’élément générique (Baie) et l’élément spécifique (Tonnerre) pour créer Thunder Bay.

Tout près de là, il y a la ville de Kenora. Son origine partiellement française demeure assez difficile à deviner. Sous le Régime français, l’endroit s’appelait Portage du Rat… qui est devenu Rat Portage vers 1857. Environ 50 ans plus tard, on renomme l’endroit en prenant la première syllabe des communautés de Keewatin et Norman, auxquelles on ajoute la syllabe de Rat Portage (Ke-No-Ra).

Toujours dans le Nord, dans le district de Cochrane, on trouve la rivière des Monsonis sur une carte de 1679. Ce nom était celui que les Français avaient donné aux indigènes qui vivaient près de la baie d’Hudson. Le cours d’eau s’est aussi appelé rivière des Orignaux en raison de l’orignal qui est le totem des Monsonis. Au moment de la Conquête on parlait plus de Moose River. De là est né le toponyme Moosonee (un mélange de Moose et Monsonis).

Dans le Sud de l’Ontario, le ruisseau Saint-Jean est devenu Humber River et la rivière La Tranche porte aujourd’hui le nom de Thames River, suite à une décision du lieutenant-gouverneur Simcoe. En revanche, il y a un toponyme qui s’est enrichi en passant de la forme française à la forme anglaise.

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Sur une carte de 1757 du district de Nipissing, il est fait mention du Portage de la musique. Selon André Lapierre, «on raconte qu’à proximité du portage se trouvait l’entrée d’une caverne surnommée porte de l’enfer d’où, semble-t-il, s’échappaient des cris et des gémissements». Le portage est devenu Mauvaise Musique Rapids.

Près de Toronto, Port Credit fait partie de Mississauga depuis 1974. Il faut savoir que dès 1757, on trouve le toponyme rivière au Crédit sur une carte; ce nom est relié à une pratique chez les traiteurs de fourrures qui prêtaient des instruments de chasses aux Amérindiens pour se faire ensuite rembourser par des fourrures. L’origine française de Port Credit et Credit River est donc bien dissimulée.

Je pourrais aussi mentionner Pigeon River (rivière aux Tourtes), Ausable River (rivière aux Sables), Chenail Écarté (The Snye), île au Bois Blanc (Boblo Island), Pointe-aux-Roches (Stoney Point), rivière Creuse (Deep River) ou Pointe à Binaux (Point Abino).

Nombreux sont les toponymes courants de langue anglaise qui ont une source francophone. Croyez-vous qu’on devrait profiter de notre 400e anniversaire pour demander la refrancisation de la rivière Humber? Ce serait chouette de célébrer la Saint-Jean au bord du… ruisseau Saint-Jean!

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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