Corruption: un ingénieur admet avoir fait du financement politique illégal

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Publié 21/05/2013 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 14h20 HAE, le 22 mai 2013.

MONTRÉAL – L’ingénieur retraité Roger Desbois, de la firme de génie Tecsult, a admis devant la Commission Charbonneau, mercredi, avoir fait du financement politique illégal, tant au provincial qu’au municipal, pour que sa firme obtienne des mandats ou soit en bonne position pour en décrocher.

Les tableaux déposés par la commission démontrent qu’il a personnellement donné, de 1997 à 2008, 16 900 $ au Parti libéral du Québec, 8995 $ au Parti québécois et 1000 $ à l’Action démocratique du Québec.

Et à ces sommes, il faut ajouter 2000 $ versés par ses trois enfants au Parti québécois ainsi que 7000 $ donnés par son épouse au PLQ et 1000 $ au PQ.

Ces contributions ont à une exception près été suggérées par son patron chez Tecsult, Luc Benoît. «Je répondais à une demande, point», a-t-il répondu au procureur de la commission, Me Simon Tremblay.

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Un autre ingénieur de Tecsult, Gérald Pilon, a donné au PLQ et au PQ. Et tout comme M. Desbois, il a été remboursé par des «bonis» de son entreprise, ce qui en fait des contributions illégales en vertu de la loi.

Sa générosité envers le milieu politique s’est aussi étendue au parti PRO des Lavallois, le parti du maire d’alors, Gilles Vaillancourt.

Il a également soutenu que six municipalités de la couronne Nord de Montréal ont bénéficié du financement électoral de sa firme ou ont fait l’objet de collusion entre les firmes de génie-conseil.

Il a ainsi montré du doigt les municipalités de Saint-Jérôme, Blainville, Lorraine, Bois-des-Filion, Sainte-Thérèse et Mascouche.

À Blainville, en 2005, il a livré 30 000 $ à la résidence de Pierre Gingras, le maire sortant, pour la campagne à la mairie de Daniel Ratthé.

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M. Ratthé est ce député de la Coalition avenir Québec qui a été expulsé du caucus de son parti, mardi, par le chef François Legault, le temps de clarifier la situation. M. Desbois a bien souligné qu’il n’a «aucune idée» si l’argent a bel et bien été remis à M. Ratthé et que M. Ratthé n’était pas présent lors de la remise d’argent.

M. Desbois a aussi contribué 12 000 $ aux élections municipales à Blainville en 2009.

Pas le choix

«J’avais le choix de ne pas fournir et fermer la porte de toutes les municipalités. Si je ne fournis pas, si je n’ai pas d’entente au niveau d’élections, je n’ai plus de mandats», a-t-il résumé.

Parfois aussi, l’argent versé provenait de ce qu’il a appelé sa «caisse personnelle». Mais cette caisse était en fait le montant des ristournes sur les contrats, versées par les entrepreneurs en construction de Laval et qu’il prélevait comme «collecteur de fonds».

À Saint-Jérôme aussi, il a remis 5000 $ à un dénommé Christian Côté en 2006 et 2007 «pour garder Saint-Jérôme comme client potentiel».

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En 2009, il a aussi remis une somme de 25 000 $ comptant pour un projet d’usine de filtration de 35 millions $ qu’il a obtenu en consortium avec Dessau, à Saint-Jérôme. «Pour m’assurer qu’il se rende bien au politique, j’ai demandé à l’entrepreneur de me remettre le 25 000 $, que j’ai remis à Christian Côté. J’ai joué le messager entre les deux», s’est-il rappelé. C’est Claude Chagnon de l’entreprise de construction ABC Rive-Nord qui a remis l’argent.

Et une autre somme de 25 000 $ a été versée, cette fois pour un mandat de 3,5 millions $ pour développer un nouveau secteur à Saint-Jérôme. «Avec Christian Côté, c’est devenu clair que ça prenait 25 000 $. Les travaux se sont exécutés et à la fin du contrat, ça a été la même façon de procéder: l’entrepreneur m’a remis 25 000 $ que j’ai remis à Christian Côté», a noté le témoin. Cette fois, l’entrepreneur donateur est Mario Leclerc, des Entreprises Quatre saisons.

À Saint-Jérôme, il y avait aussi un système de collusion, a affirmé M. Desbois. Cette fois, le système est géré par le responsable du service d’ingénierie de la ville. «Il détermine quel contrat nous est alloué», a précisé M. Desbois à propos de Richard Bégin, qui a été remplacé par Éric Frigon quand il a pris sa retraite.

Système de collusion

En plus de ce financement politique aux niveaux provincial et municipal, il a donné d’autres détails concernant le système de collusion au sein des firmes de génie qui avaient des contrats de la Ville de Laval.

Neuf firmes de génie-conseil, dont la sienne, ont participé à un moment ou à un autre au système de collusion à Laval, a-t-il précisé.

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«Les élus, je ne crois pas qu’ils étaient au courant. M. Vaillancourt était au courant. Mais je parle sous lui, au niveau des conseillers municipaux, mon impression c’est qu’ils n’étaient pas au courant», a commenté M. Desbois.

Il a évoqué une contribution de 2 pour cent de la valeur du contrat pour les mandats généraux et 1 pour cent lorsque la firme ne faisait que prêter du personnel.

C’est à partir de 2010 que «le niveau de collusion était énormément plus bas» à Laval, grâce à l’escouade Marteau, à l’Unité permanente anticorruption, a-t-il relaté.

D’ailleurs depuis, «les prix ont commencé à baisser», d’abord timidement, puis de façon manifeste. Au point d’ailleurs où, selon lui, les prix d’aujourd’hui ne sont plus viables pour les firmes de génie-conseil de moyenne et grande tailles. La chute des prix à Laval favorise les petites firmes de génie qui ont moins de frais que les grandes, a-t-il avancé.

2,7 millions $ à Laval

La veille, Roger Desbois avait confirmé avoir réclamé une ristourne aux entrepreneurs en construction qui ont participé au système de collusion à Laval, de 2003 à 2009. Il estime avoir récolté pas moins de 2,7 millions $.

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M. Desbois a bien indiqué que dans son esprit, toutes les sommes versées l’étaient pour le parti PRO des Lavallois, le parti du maire d’alors, Gilles Vaillancourt. D’ailleurs, son témoignage laisse croire que le maire Vaillancourt était non seulement au courant du stratagème, mais veillait même au grain.

Le témoin a indiqué que c’est l’ancien directeur général de la Ville, Claude Asselin, qui lui a proposé en 2002 de s’occuper de cette tâche, puisque celui qui s’en occupait avant, et qui travaillait pour la même firme de génie-conseil que M. Desbois, prenait sa retraite.

À compter de 2003, M. Desbois a donc commencé à recueillir les contributions des entrepreneurs qui obtenaient des contrats de la Ville de Laval pour des trottoirs, aqueducs, du pavage et de la réfection de chaussée. Ces ristournes équivalaient à 2 pour cent de la valeur des contrats obtenus, parfois 1 pour cent, a-t-il précisé.

Il a procédé ainsi jusqu’à novembre ou décembre 2009.

Le témoin a raconté que quand le poste de «collecteur de fonds» auprès des entrepreneurs lui a été proposé, il n’y a rien vu de mal. «Ce n’est pas un poste où on fait application. Je n’ai pas senti quelque chose de grave avec ça», a-t-il répondu à la juge France Charbonneau qui lui demandait comment il s’était senti quand on lui avait proposé le «poste».

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Comme son patron avant lui

À ses yeux, il ne faisait qu’agir dans la continuité, puisque le grand patron de sa firme de génie Gendron Lefebvre, Marc Gendron, le faisait avant lui. La firme Gendron Lefebvre a été achetée par Tecsult, qui est ensuite devenue Aecom.

Il a accepté la tâche parce qu’on lui avait fait comprendre que la part de marché de 25 pour cent qu’avait Tecsult à Laval risquait de diminuer à 15 pour cent s’il refusait.

M. Desbois obtenait de Claude DeGuise, directeur du service de l’ingénierie, une liste dont certains contrats étaient marqués d’un X. Le X signifiait que le contrat était arrangé. S’il n’y avait pas de X, le contrat avait été obtenu en libre compétition.

M. Desbois appelait alors l’entrepreneur gagnant et lui disait de passer à son bureau pour remettre la contribution requise. Il a même tenu une comptabilité des ristournes versées et à verser, par entrepreneur, sur une clef USB. Il a toutefois détruit cette clef depuis.

Il a fonctionné ainsi avec M. DeGuise jusqu’à la fin de janvier 2008. Après le départ de M. DeGuise, c’est Jean Roberge, le témoin entendu jeudi dernier, qui a pris la relève jusqu’à la fin de 2009.

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Le système était toutefois moins élaboré avec M. Roberge, qui ne lui fournissait plus une liste détaillée marquée de X, le cas échéant.

M. Desbois a énuméré pas moins de 21 entreprises de construction qui ont participé au stratagème à au moins une occasion, dont 20 qui lui ont remis de l’argent. Seule Demix a refusé de payer, tout en participant toutefois au partage des contrats et au stratagème.

Si Demix a réussi à ne rien verser, c’est parce que l’entreprise, qui possédait également une carrière et une usine de béton bitumineux, était pratiquement incontournable. Comme son code d’éthique lui interdisait de verser de l’argent, a rapporté M. Desbois, elle participait au système en faisant un meilleur prix pour la matière de base aux entreprises qui participaient au stratagème.

Jamais moins de 200 000 $

Les ristournes lui étaient versées dans son bureau. Il ne comptait pas l’argent et tenait pour acquis que la somme était exacte. Il allait porter les sommes dans une voute en attendant de faire les versements à qui de droit.

«Je ne faisais jamais de livraison de moins de 200 000 $. Je cumulais jusqu’à 200 000 $, 300 000 $, des fois 400 000 $», a-t-il admis.

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Il remettait l’argent à Me Jean Bertrand, puis à Me Pierre Lambert, agent officiel du parti PRO des Lavallois. Il a estimé avoir remis environ 700 000 $ au premier et 2 millions $ au second.

Le dernier échange d’argent en novembre 2009 n’a pas eu lieu dans son garage, parce que Me Lambert craignait qu’il y ait des caméras. Ils se sont donc rendus dans un café Starbucks, puis constatant qu’il y avait trop de clients qui risquaient d’être témoins, ont encore changé d’idée pour faire finalement l’échange ailleurs, près d’une autoroute.

M. Desbois a à son tour impliqué l’ex-maire Vaillancourt, notamment lorsque après plusieurs années à travailler comme «collecteur de fonds», M. Vaillancourt lui a demandé combien il voulait recevoir pour ses services.

M. Desbois réfléchissait à un pourcentage de 2 pour cent, mais a dit tout haut 5 pour cent. Étonnamment, le maire Vaillancourt lui a alors lancé: 7,5 pour cent, avant d’ajouter que lui-même «prend 10».

Il a accepté de prélever ce pourcentage en reculant même un peu dans le temps, puisqu’il travaillait ainsi comme collecteur de fonds depuis des années déjà. «Je l’ai appliqué sur 1 million $ de collecte. Ça faisait 100 000 $», a-t-il précisé.

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En fait, dans la voute, il y avait 106 200 $. Il a dépensé une partie de l’argent seulement.

Quand l’Unité permanente anticorruption (UPAC) et l’escouade Marteau l’ont rencontré, il a fini par avouer. Il leur a remis 81 000 $ au total.

À une occasion, le maire Vaillancourt lui a même demandé qui étaient ses meilleurs contributeurs et qui étaient ses pires. Il n’a nommé que ses meilleurs, a-t-il rapporté, précisant bien qu’il ne parlait pas alors de qualité des travaux pour la Ville.

À une autre occasion, le maire Vaillancourt lui a demandé: «est-ce que tu as de l’argent dans ta caisse?» Puis il lui a demandé de donner 20 000 $ à Jean Roberge, le témoin entendu jeudi dernier. Celui-ci avait déjà expliqué qu’il avait accepté à la Ville un poste de moindre importance que celui pour lequel il avait été approché, donc commandant une rémunération moindre, mais qu’il devait tout de même accomplir des tâches réservées à un poste plus élevé. Il avait donc été entendu qu’il serait compensé financièrement.

Et à une autre occasion encore, le maire Vaillancourt lui a demandé de verser une première somme de 50 000 $ à Gaétan Turbide, qui a plus tard été directeur général de la Ville. Deux autres versements lui ont été faits, pour un total de 110 000 $ à 130 000 $. selon l’évaluation de M. Desbois.

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