Autrefois, les paysans des régions calcaires entouraient leurs champs de murs, faits des pierres dont on débarrassait le terrain à cultiver. Dans mon enfance tourangelle, ces murs mal joints, à la glaise, abritaient toutes sortes de bestioles qui se régalaient les unes des autres: fourmis, guêpes, escargots, lézards, serpents, mulots.
Les moineaux aussi faisaient leurs nids dans les anfractuosités des vieux murs. Mais la vie moderne a transformé les petites propriétés en vastes domaines à culture intensive. Les jolis murs gris ont disparu avec toute leur faune. Les insecticides ont remplacé les oiseaux.
À l’époque féodale, les seigneurs faisaient construire par les manants des murailles, autour de leurs châteaux-forts et des villages qui cherchaient leur protection. Les fortifications destinées à protéger contre l’ennemi ont proliféré dans toute l’Europe médiévale et jusqu’à l’époque où l’artillerie moderne les ont rendu inutiles.
Au XVIIIe siècle, Paris, vite imité ailleurs, fit construire la barrière des fermiers généraux, obligeant les gens qui voulaient entrer dans la ville à passer par une porte d’octroi. On percevait là un droit d’entrée. Les Parisiens mécontents disaient: «Les murs murant Paris rendent Paris murmurant».
Ce sont les Chinois qui ont construit la plus impressionnante muraille, deux siècles avant Jésus-Christ. Dix mètres de large, quinze de haut, elle serpente sur des crêtes montagneuses, sur plus de six mille kilomètres. Des centaines de milliers d’ouvriers, esclaves ou prisonniers, y ont travaillé pendant plus d’un siècle. On a appelé cet immense chantier «le plus grand cimetière du monde». Il n’a guère empêché les hordes mongoles, venant du nord, de venir régulièrement piller la Chine. Il aura surtout servi à attirer les touristes. Si on arrive à se débarrasser de la foule, en allant assez loin – ce qui est facile vu la route chaotique – c’est un spectacle d’un rare plaisir que de voir se dérouler ce mur sans fin dans un paysage sauvage. Allez-y au soleil couchant.