Corruption: l’ex-numéro 2 de Montréal admet avoir eu des soupçons

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Publié 23/04/2013 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

23 avril 2013, 15h27

MONTRÉAL _ Frank Zampino, ancien président du comité exécutif à la Ville de Montréal, a dû admettre mardi qu’il savait depuis 2006 qu’il y avait des indices de collusion à Montréal, alors qu’il avait affirmé sous serment qu’il n’en avait jamais entendu parler avant les audiences de la Commission Charbonneau.

Lors d’un échange très serré, le commissaire Renaud Lachance a réussi à lui faire admettre qu’il était au courant dès 2006 et qu’il avait peut-être répondu un peu trop vite lorsqu’il avait nié avoir été mis au courant avant les audiences de la commission.

L’aveu est tombé après qu’il eut été interrogé sur un rapport du vérificateur interne de la Ville, Denis Savard, dont l’ancien directeur général de la Ville, Claude Léger, l’avait informé. Ce rapport de 2006 faisait clairement référence à des indices de collusion entre entreprises, à un nombre insuffisant de soumissions, au fait qu’il s’agit souvent des mêmes firmes qui remportent les appels d’offres.

Une lettre confidentielle jointe à ce rapport identifiait même des entreprises.

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M. Zampino affirme n’avoir jamais vu ce rapport, mais admet que le directeur général Léger lui en a parlé et lui a même exposé les mesures correctrices qu’il pensait prendre. Et M. Zampino a changé sa version, assurant maintenant qu’il avait voulu lui aussi contrer la collusion à l’époque.

Ce changement de version a fait sortir de ses gonds le commissaire Renaud Lachance. « Vous avez menti, tout à l’heure, lorsque je vous ai posé la question ‘est-ce que vous avez déjà entendu parler d’indices de collusion à Montréal?’ Vous avez dit ‘non, pas avant la commission’. Et là, vous êtes en train de nous dire que vous en avez tellement bien entendu parler, que vous avez posé de nombreux gestes pour essayer d’y répondre? » s’est exclamé le commissaire.

Mais M. Zampino a soutenu qu’il appartenait à M. Léger, le directeur général, de voir au suivi des recommandations du rapport, pas à lui comme président du comité exécutif.

Quand le commissaire Lachance lui a demandé s’il avait au moins parlé au maire Gérald Tremblay de ces indices de collusion à Montréal, il a répondu qu’il « ne se rappelle pas d’avoir parlé au maire de ce dossier ».

Cette fois, c’est la présidente de la commission, France Charbonneau, qui est sortie de sa réserve. « Vous, monsieur Zampino, vous étiez le bras droit du maire. Il était de votre responsabilité d’informer le maire » des indices de collusion et des drapeaux rouges qui étaient levés, lui a-t-elle dit.

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Un mur entre ses amis et sa fonction

Auparavant, M. Zampino avait assuré la commission du fait qu’il a toujours dressé un mur entre ses liens d’amitié avec des entrepreneurs qui avaient des relations d’affaires avec la Ville et son poste de numéro deux à la Ville.

M. Zampino a admis avoir une relation d’amitié avec l’entrepreneur en construction Tony Accurso, de Simard-Beaudry et Louisbourg Construction, et avec l’ex-vice-président de la firme de génie-conseil Dessau, Rosaire Sauriol. Et ils sont ses amis encore aujourd’hui, affirme-t-il.

« Même si j’ai tissé des liens, dans certains cas des liens serrés, avec des amis, au fil des ans, j’ai toujours été capable de faire la distinction claire entre mes liens d’amitié et mes responsabilités en tant qu’élu, en tant que président du comité exécutif », a-t-il clamé.

Mais même s’il était son bon ami, M. Sauriol ne lui aurait jamais dit qu’il participait à un système de partage des contrats entre les firmes de génie depuis des années, comme il en a témoigné devant la commission.

Un tel mutisme a étonné le commissaire Renaud Lachance.

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« Monsieur Sauriol, il vous a menti _ si on vous croit _ pendant sept ans, à l’effet qu’il faisait de la collusion à Montréal. Et vous considérez cette personne-là, qui vous triché dans le dos _ si on vous croit _ qui ne vous a jamais parlé de collusion, qui ne vous a jamais parlé d’une quelconque entente, et vous le considérez toujours comme votre ami? Celui qui a volé les contribuables de Montréal à travers la collusion? Vous, si on vous croit, vous avez été trahi dans tout ceci? » s’est exclamé le commissaire.

« Vous avez utilisé le mot trahi, j’en conviens. Je ne m’attendais pas du tout à ce genre de témoignage de la part de… » a répliqué M. Zampino, avant que le commissaire ne l’interrompe, poursuivant dans la même veine.

Il a aussi admis que le maire de l’époque, Gérald Tremblay, n’a jamais été mis au courant de ses liens d’amitié avec MM. Sauriol et Accurso, qui avaient beaucoup de contrats avec la Ville.

Voyages

Interrogé par la procureure chef, Sonia LeBel, il a admis avoir fait un autre voyage sur le yacht de Tony Accurso, en plus de celui qui avait provoqué son départ de la Ville, parce qu’il était survenu alors qu’une des entreprises de M. Accurso participait à un processus d’appel d’offres dans le contrat des compteurs d’eau.

Ainsi, en plus des voyages avec M. Accurso en février 2007 et 2008, il s’est rendu sur le bateau de M. Accurso en 2005 _ ce qui n’avait jamais été divulgué jusqu’ici.

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Il se trouvait alors avec sa famille en Floride lorsqu’il a reçu un appel de Tony Accurso l’invitant à visiter son nouveau yacht, alors amarré aux Bahamas. M. Zampino s’y est alors rendu avec sa famille pour deux jours et il a payé lui-même 99 $ pour les billets d’avion pour se rendre sur place, a-t-il relaté. Mais M. Accurso n’était pas présent, bien qu’il s’agissait de son bateau. Il a été dit devant la commission que l’occupation d’un tel yacht coûte 75 000 $ par semaine.

Un autre voyage s’est ajouté à la liste, cette fois à Las Vegas, avec Tony Accurso en 2006. À cette occasion, il a fait un « tour d’hélicoptère » avec M. Accurso et le directeur général de la Ville, Robert Abdallah. Il affirme qu’il a alors payé pour son voyage, mais pas pour la promenade en hélicoptère, payée par M. Accurso. La commission lui a demandé de fournir les preuves de ces paiements.

La faute des ingénieurs et des fonctionnaires

La veille, Frank Zampino, s’est lavé les mains de tout système de partage des contrats contre ristourne à Union Montréal, montrant plutôt du doigt les firmes privées de génie et la fonction publique de la Ville.

Bien que certains témoins devant la Commission Charbonneau l’aient identifié comme partie prenante du système de partage des contrats ayant cours à la Ville, dans les années 2000, celui-ci a nié lundi avoir eu même connaissance qu’un tel système existait.

« Les bureaux d’ingénieurs ont décidé du système » de partage des contrats, a-t-il conclu. Il a juré que c’aurait été « la fin de la récréation » s’il l’avait su.

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Il a nié également avoir été mis au courant du fait que des ingénieurs donnaient des milliers de dollars d’argent comptant à son ami Bernard Trépanier, responsable du financement de son parti, Union Montréal.

Placé devant le fait que ces ingénieurs ont admis devant la commission avoir donné de l’argent en retour d’informations privilégiées, leur permettant de mieux se répartir les contrats, M. Zampino a alors avancé que ces informations privilégiées provenaient peut-être de Robert Marcil, ex-directeur de la réalisation des travaux.

Puis il a aussi impliqué la fonction publique. « Les seuls qui ont de l’information privilégiée, c’est la fonction publique », s’est-il exclamé.

Pourtant même son grand ami Rosaire Sauriol, ex-vice-président de la firme de génie Dessau, a affirmé devant la commission que M. Zampino était au courant du fait qu’il avait donné de l’argent comptant à Bernard Trépanier pour Union Montréal.

À la suggestion du commissaire Renaud Lachance, M. Zampino a dû admettre qu’un des deux mentait nécessairement, soit lui-même, soit son ami Sauriol.

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Avec le dg de la Ville

Il a par ailleurs nié avoir suggéré au directeur général de la Ville, Claude Léger, de nommer Robert Marcil à un comité de sélection, comme en avait témoigné M. Léger devant la commission. Non, a-t-il dit, car « je savais déjà qu’il siégeait sur des comités de sélection ».

Sa réponse a fait sursauter le commissaire Renaud Lachance, puisque M. Zampino venait ainsi d’indiquer qu’il savait qui siégeait à des comités de sélection _ ce qui n’est pas censé être le cas.

Il a aussi nié avoir demandé à M. Léger d’intervenir dans un processus de sélection en lui glissant discrètement un papier avec des noms d’entrepreneurs, comme en avait témoigné le dg de la Ville. Celui-ci s’était dit « tétanisé » devant une telle tentative d’influence.

M. Zampino s’est rappelé d’avoir glissé un papier à M. Léger, mais assure que c’était seulement pour lui rapporter que quelqu’un _ dont il ne se souvient pas du nom _ s’était plaint à lui d’avoir été lésé par une décision d’un comité de sélection. Il demandait donc à M. Léger de vérifier s’il y avait dans cette doléance un fondement.

« Si monsieur Léger a été tétanisé par ça, il a la peau mince », a riposté M. Zampino.

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La procureure chef de la commission, Me Sonia Lebel, l’a ensuite interrogé sur la raison d’une rencontre qu’il a eue avec Bernard Trépanier et Robert Marcil, le 19 février 2008, selon ce qui est inscrit à son agenda.

« Cette rencontre n’a jamais eu lieu », a-t-il martelé.

« On a falsifié votre agenda? » lui a demandé le commissaire Renaud Lachance, avec un sourire qui exprimait son scepticisme. Avec une pointe d’ironie, il a parlé du « mystère » de l’inscription dans son agenda.

Le témoin a nié avoir reproché à la commission d’avoir falsifié son agenda, ajoutant: « je ne sais pas combien de personnes ont eu accès à mon agenda » depuis qu’il a été saisi par les autorités.

La commission s’est aussi attardée aux rapports ou sommaires décisionnels soumis au comité exécutif faisant état de dépassements de coûts et de marché fermé à Montréal, notamment ceux soumis par le directeur de l’approvisionnement de 2003 à 2006, Serge Pourreaux. Celui-ci proposait des correctifs, notamment celui de transférer le système d’appels d’offres du service des travaux publics à celui des approvisionnements.

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M. Pourreaux avait témoigné du fait qu’il avait même été tassé par M. Zampino, en même temps que le directeur général Robert Abdallah et un autre haut-fonctionnaire, parce que les trois voulaient mettre en place des correctifs.

« C’est complètement loufoque », s’est exclamé M. Zampino, disant refuser servir de « bouc-émissaire » à des hauts-fonctionnaires qui n’ont pas réussi à mener à bien leur rapport. Selon lui, si les correctifs n’ont pas été menés à terme, c’est parce qu’il y a eu objection dans des arrondissements, qui ne voulaient pas qu’on y importe les façons de faire de la ville centre.

Le commissaire Renaud Lachance s’est étonné de voir M. Zampino, qui avait nié si calmement avoir fait partie du système de partage des contrats à la Ville, s’insurger avec virulence du fait qu’on lui reproche d’avoir simplement déplacé administrativement des hauts-fonctionnaires.

« On vous sent vraiment outré de croire que vous ayez tassé M. Pourreaux pour bloquer cette initiative d’optimisation. Le ton monte; vous faites de longues interventions; vous prenez des mots forts comme ‘loufoque’. Je ne sais pas si vous remarquez, mais vous êtes plus outré pour cet aspect très administratif que lorsque je faisais allusion au fait que vous participiez au système de collusion avec les ingénieurs », lui a fait remarquer M. Lachance.

M. Zampino a également été appelé à expliquer le courriel que son adjointe avait transmis à l’adjointe de Rosaire Sauriol, de Dessau, avec en pièce jointe le discours du maire de Montréal Gérald Tremblay.

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Il a soutenu que c’était à la suite de l’entretien qu’il avait eu avec le futur directeur général de la Ville, Claude Léger, alors candidat à ce poste, en compagnie de Rosaire Sauriol. M. Léger « posait beaucoup de questions » sur les objectifs de la Ville et ses orientations. C’est donc pour cette raison qu’il a voulu lui transmettre l’allocution du maire Tremblay _ après qu’elle eut été prononcée et non avant _ mais en passant encore par l’intermédiaire du vice-président de Dessau.

Au resto avec les entrepreneurs

Dans le cadre de son témoignage, M. Zampino a admis être allé au restaurant avec des entrepreneurs en construction qui avaient des contrats avec la Ville. Et ce sont généralement eux qui payaient l’addition, a-t-il admis.

Les entrepreneurs voulaient par exemple « faire un suivi » des dossiers, s’informer des contrats qui s’en venaient à la Ville, a-t-il témoigné, ou lui expliquer ce qu’ils y faisaient comme projets. Mais il assure ne leur avoir transmis aucune information privilégiée et ne les avoir jamais favorisés dans l’octroi de contrats par la Ville.

Pourtant, du même souffle, M. Zampino affirme qu’il avait été bien clair avec son ami de longue date Bernard Trépanier qu’il ne voulait pas voir « de parade » d’entrepreneurs en construction ou d’ingénieurs dans son bureau.

M. Zampino a soutenu qu’il écoutait parfois l’entrepreneur et qu’ensuite, il ne faisait que le rediriger vers le département approprié de la Ville.

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Rencontrer un entrepreneur était une simple question de « politesse », de « courtoisie » envers des gens qui contribuent à la richesse de la Ville, a-t-il soutenu.

M. Zampino a aussi expliqué qu’il ne voyait pas de problèmes dans le fait que des fonctionnaires de la Ville aient joué au golf ou aient reçu des billets de hockey de la part d’entrepreneurs en construction, si ceux-ci ne les ont pas favorisés et n’ont pas transgressé les règles.

Selon son témoignage, tout dépend de la personnalité du fonctionnaire en question, de sa capacité à résister aux cadeaux et faveurs qu’il reçoit de la part d’un entrepreneur ou d’une firme de génie-conseil.

M. Zampino a par ailleurs admis avoir reçu des bouteilles de vin, durant la période des Fêtes, de la part de bureaux d’ingénieurs, de bureaux d’avocats, mais pas d’entrepreneurs en construction.

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