Corruption: des cadres de SNC-Lavallin ont donné 1 million $ au PLQ et au PQ

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Publié 14/03/2013 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 15h57 HAE, le 14 mars 2013.

MONTRÉAL – De 1998 à 2010, des cadres de SNC-Lavalin ont versé plus de 1 million $ au Parti libéral du Québec et au Parti québécois — mais principalement au PLQ.

C’est un vice-président principal de SNC-Lavalin, Yves Cadotte, qui l’a admis devant la Commission Charbonneau, jeudi.

Ensemble, la quarantaine de cadres — parfois aussi leur conjointe — ont versé 1 046 870 $. Et quand ces cadres donnaient, SNC-Lavalin leur accordait une prime bien supérieure à la valeur de la contribution politique, de façon à ce que le cadre soit pleinement remboursé, même après déduction d’impôt. Cela contrevenait à la loi.

Interrogé par le procureur chef adjoint de la commission, M. Cadotte a admis qu’il était conscient de faire ainsi une contribution illégale. M. Cadotte a pris soin de préciser que les cadres n’étaient pas contraints de le faire: ils y étaient invités et pouvaient refuser sans problème.

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Le procureur de la commission Denis Gallant a précisé que de 1997-98 à 2011-2012, SNC-Lavalin avait obtenu 247,5 millions $ pour 550 contrats du ministère des Transports.

Malgré ces chiffres, M. Cadotte a soutenu qu’il n’y avait pas de lien entre les contributions politiques au provincial et les contrats obtenus par sa firme.

Et il a insisté sur le fait que ce sont les partis politiques qui sollicitaient au départ SNC-Lavalin, la plus grande firme de génie-conseil au Canada. Des solliciteurs de chaque parti fixaient même un montant — un objectif de financement à atteindre à SNC-Lavalin.

Et le géant du génie-conseil n’osait pas ne pas contribuer, a-t-il laissé entendre. «C’est là le dilemme: ne pas contribuer serait un risque qui est peut-être intangible. Peut-être qu’il n’existe pas, mais dans notre esprit, c’est un risque qu’on ne veut pas nécessairement courir.»

Prête-noms

La Commission Charbonneau a pu constater, jeudi, à quel point la pratique des prête-noms semblait être banalisée durant les années 2000.

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Un enquêteur de la commission, André Noël, a raconté que lui et trois de ses collègues ont visité 32 foyers de quartiers populaires ou de classe moyenne où vivaient des gens qui avaient donné plus de 1000 $ à Union Montréal en 2005 et 2009, soit deux années électorales.

De ce nombre, il n’y a pas eu de réponse dans 16 cas — c’était alors la semaine de relâche scolaire. Dans les 16 autres foyers où les résidants ont répondu à la porte, les enquêteurs ont trouvé des prête-noms dans huit cas. Les résidants y ont carrément admis aux enquêteurs que leur contribution politique n’avait pas été faite à titre personnelle et qu’ils avaient été remboursés pour ce don.

«On peut dire qu’un contributeur sur deux est un prête-nom, huit adresses sur 16, ce sont des prête-noms, des personnes qui nous ont dit qu’effectivement, ce n’était pas leur contribution personnelle, mais qu’elles avaient été remboursées», a résumé M. Noël, un ancien journaliste d’enquête au quotidien La Presse.

Et dans deux autres foyers, les enquêteurs soupçonnaient qu’il y avait aussi des prête-noms. Dans un de ces deux foyers, il y avait trois donateurs de 500 $, et leur emploi et revenu ne pouvaient justifier de telles contributions, a expliqué M. Noël.

La commission a ensuite entendu quatre témoins qui ont admis avoir servi de prête-nom. Ils travaillaient pour la firme de construction Louisbourg SBC, pour la firme de génie Leroux-Beaudoin-Hurens, pour la Société de développement Angus et pour Construction Pomerleau.

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Un représentant de leur employeur leur avait demandé de faire un don en chèque à Union Montréal ou au Parti libéral du Québec, avant de se faire rembourser à même leur compte de dépenses. Dans certains cas, l’employeur leur faisait valoir qu’ils bénéficieraient ainsi d’un remboursement d’impôt.

Un ingénieur dégoûté

Plus tôt jeudi, toujours devant la Commission Charbonneau, un ex-ingénieur de BPR, Charles Meunier, a expliqué son dégoût des façons de faire dans le milieu du génie, au milieu des années 2000, pour pouvoir obtenir des contrats à Montréal.

M. Meunier a même quitté BPR à cause de ce contexte, en bonne partie. Il refusait de se plier au système, qui consistait à donner de l’argent comptant au parti Union Montréal, au pouvoir, pour que la firme pour laquelle il travaillait obtienne des mandats de la Ville.

Il a relaté que, quand il a commencé sa carrière alors qu’il faisait du développement des affaires dans le milieu du génie, il plaçait les élus sur un piédestal. Il était content de pouvoir s’approcher des élus pour faire connaître BPR et son expertise technique en assainissement de l’eau. Mais il a fini par être désillusionné.

Il était prêt à rencontrer des élus, à participer à des activités de financement politique, même, mais pas à donner de l’argent comptant pour que BPR obtienne des mandats.

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Il n’a pas aimé non plus constater que tout était arrangé entre les firmes de génie à Montréal et que la répartition des mandats était décidée d’avance.

«Je ne voulais pas aller travailler dans un autre bureau d’ingénieur-conseil, parce que je vois comment… Ça me dégoûte, chez BPR, cette affaire-là. Ce n’est pas BPR qui me dégoûte. BPR n’était pas plus intéressé que moi par ces affaires-là. C’était un mal nécessaire», a affirmé le témoin.

Quand le commissaire Renaud Lachance lui a demandé pourquoi il n’a pas appelé la police pour dénoncer ce qui le dégoûtait tant, il a admis sa peur et le fait qu’il était décontenancé devant l’ampleur des stratagèmes qu’il venait de découvrir.

«J’avais peur de ça. Je trouvais ça bien que trop gros. Moi, je suis impressionné par les politiciens, j’ai de l’estime pour ça. Et dans ma tête, c’est Bernard Trépanier (responsable du financement d’Union Montréal) qui se vantait d’être proche de M. (Frank) Zampino (président du comité exécutif de Montréal), alors je pense que ça vient de là, c’est comme le patron. Je trouvais ça trop gros pour moi. J’ai voulu me sauver de ça», a-t-il avoué.

Au provincial, il a aussi donné de l’argent, seulement au Parti libéral du Québec pendant la période analysée par la commission, soit avant 2012.

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«Je considérais que c’était mon métier de faire ça», a-t-il justifié, lui qui voulait se rapprocher des élus pour faire connaître BPR.

L’ingénieur, qui a aussi un diplôme en relations publiques, a finalement quitté BPR en mars 2010. Il travaille aujourd’hui à son compte.

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