1855, Pey La Tour

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Publié 04/05/2010 par Alain Laliberté

Première chronique à L’Express. Grosse différence avec le Québec puisque la Régie des alcools de l’Ontario libère une centaine de vins toutes les deux semaines. J’écrirai sur les nouveaux arrivages comme tous les collègues. J’informerai aussi sur les fantastiques vins qui, une fois libérés, sont oubliés en faveur des nouveaux arrivages. Il en reste toujours en stock de ces vins fantastiques trois mois après la livraison Vintages. Je ne les oublie jamais. Idem pour les vins VQA locaux.

J’ai un faible pour l’Italie. Beaucoup moins pour les vins produits pour plaire au consommateur. Je préfère les vins dans lesquels s’exprime l’âme du vigneron.

Je laisse aux autres le soin d’exprimer le vin qui sent la groseille écrasée par une nuit de pleine lune en juin. Les odeurs sont importantes en autant que le lecteur ait les mêmes références que le chroniqueur. Trop semblent oublier que le vin est fait pour être bu et que savoir si le vin est corsé, tannique, acide, sec ou long en bouche constitue les critères premiers dans la sélection du vin. Je m’en fais le porte-parole.

Je demeure ouvert aux critiques et suggestions. Vos questions m’aident aussi pour vaincre le syndrome de la page blanche.

Enfin, j’espère que cette première chronique soit suivie par une multitude d’autres.

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Après seulement dix ans dans le 21e siècle, Bordeaux a déjà connu deux millésimes du siècle (!!) avec les proclamations de 2005 et de 2009. Plus tôt ce mois-ci, le gratin médiatique et commercial avait rendez-vous dans cette ville jumelée à Québec pour évaluer les grands crus de Bordeaux. Les producteurs retiennent leur souffle alors que le très influent Robert Parker publie cette semaine ses notes de dégustations. Selon celles-ci, à chaque année, plusieurs châteaux établissent le prix de vente du nouveau millésime.

La naissance des Grands Crus

Au cours du 17e, et surtout du 18e siècle, le phénomène majeur dans la commercialisation des vins de Bordeaux est l’expédition de ces vins dans le monde, notamment avec la découverte du marché américain. Mais obéissant aussi à cette première mondialisation des échanges, on constate l’apparition d’une hiérarchie interne des crus et des terroirs.



Depuis l’époque médiévale, on parle de vin de palus, de ces lourds vins rouges provenant des fonds de vallées, en position presque idéale pour pouvoir s’embarquer sur les bateaux de rivières en direction de Bordeaux. On parle aussi, des vins de graves, c’est-à-dire de sols caillouteux et non pas de l’appellation telle que nous la connaissons aujourd’hui, et des vins de côtes correspondant aux Premières côtes de Bordeaux et d’ailleurs. Il existe une hiérarchie entre trois types de terroirs donnant des vins relativement différents les uns des autres, ainsi que par les prix pratiqués.

Lors d’une assemblée extraordinaire en 1647, les jurats de Bordeaux se réunirent pendant plusieurs jours pour taxer les vins. Il en résulte une liste de prix, une taxation qui apparaît comme une hiérarchie des vins considérés les meilleurs et les moins bons. Une hiérarchie de terroirs plus fine que ce qui existait auparavant. 

Surtout au 18e siècle, les négociants prennent l’habitude de classer les vins à l’intérieur même de ces zones. Il en est de même à l’intérieur des côtes puisqu’on distingue des vins de premières côtes les vins de côtes de seconde qualité. Et plus encore avec une géographie paroissiale montrant que tel vin provenant de telle paroisse est meilleur que celui de la paroisse voisine. 



Ceci aboutira dans un troisième temps à des classifications par propriétaires avec l’apparition d’un nom, de la généralisation d’un mot très courant qui va prendre une valeur très importante, le cru. On parlera de plus en plus du cru de M. X. Il est bien évident que dans la généralisation de cette notion de cru apparaît un vin individuel sous le nom d’un personnage, ce que nous appelons aujourd’hui le vin de propriété (le terme de château n’apparaît pas encore).



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En achetant des parcelles qui sont de petites tailles non loin de la ville, mais encore en campagne, ces propriétaires arrivent à former un véritable domaine qui s’agrandit petit à petit et auquel ils donnent leur nom.

Le classement de 1855



1855 représente le triomphe de l’Empire vis-à-vis l’Allemagne naissante et la puissante Angleterre. Une initiative dans l’entourage de l’empereur Napoléon III débouche sur l’organisation d’une Exposition universelle à Paris sous le thème de tout ce qui se fait de mieux et tout ce qu’il y a de plus beau en France. Le gouvernement demande une liste des meilleurs crus du bordelais.

En quelques semaines, la Chambre syndicale des courtiers de Bordeaux effectue un classement, suite à la demande de la Chambre de commerce. Les courtiers dressent une liste selon la notoriété et selon le prix de vente en primeur des vins sur le marché en 1855.



On y retrouve 61 crus rouges répertoriés dans cinq catégories dont 60 proviennent du Médoc et un seul de Graves. Une vingtaine de crus du Sauternais y figurent aussi. Dès ce moment, le classement eut un succès et un effet inimaginables. Un troisième, un quatrième ou un cinquième cru ne mentionnera jamais son rang, mais seulement Cru Classé, le cinquième rang étant perçu comme une insulte.



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Il en résultera certains problèmes puisque seule la rive gauche a été retenue. On ignore tout le reste. Répartis sur un nombre très limité de communes, les viticulteurs du Libournais le considèrent comme un classement de classe.



La Chambre de commerce de Bordeaux n’intervient pas à Libourne et les vins de Saint-Émilion et de Pomerol sont inconnus à Bordeaux. Les courtiers agissent de bonne foi sans penser aux conséquences éventuelles futures. Ils n’ont fait que publier ce qui est connu sur la place de Bordeaux, ce qui se faisait en privé avant 1855.



Ce classement finalement n’a rien d’exceptionnel, sauf que l’initiative est partie de l’entourage de l’empereur et qu’il a été promulgué à la face du monde de façon tapageuse à Paris. Ce qui en fait aussi sa faiblesse puisque ce classement n’est que le reflet d’une situation à un moment précis.

Depuis 1855, il n’a été actualisé qu’en 1973 lorsque Mouton Rothschild a été promu au rang de Premier Grand Cru Classé. Certains châteaux ont disparu, ont changé de nom ou, moins bien classés, ont amélioré leur qualité.

Le classement de 1855 est victime de son succès. 

Presque cent ans plus tard, Saint-Émilion et la région des Graves ont créé pour chacun un classement révisable, en particulier à Saint-Émilion où on révise à tous les dix ans.

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Recommandations

Rares sont les bons vins de Bordeaux à petits prix. Disponible partout ou presque, Château Pey La Tour Bordeaux 2008 (264986 13,95$) embaume les fruits rouges avec des nuances de cerise et de réglisse. La bouche suit, glissante et franche, moyennement corsée. Les tanins sont souples et gourmands.

De belle facture, l’ensemble constitue le vin idéal pour le backgammon voire un mix-grill auquel la merguez, saucisse d’agneau bien relevée, verra le fruit et la souplesse du vin constituer un accord certain. Délicieux que je vous dis. On achète à la caisse. ****/*****

Voici le type de vin que je recommanderais possiblement encore dans deux mois parce qu’il aura été «oublié». Rouge rubis au pourtour légèrement orangé, cet assemblage calabrais de Magliocco, Greco nero et Nerello respire, entre autre, la cerise, les herbes fines, le tabac et le cuir. L’attaque en bouche est souple, moyennement corsée et est soutenue par une acidité qui raffermit les tanins.

L’ensemble est chaleureux, franc de goût, droit et de bonne tenue. Ce Lento Lamezia Riserva 2004 (Vintages 972208 18,95$) demande définitivement à être bu à table. J’encourage de décanter le vin sur l’heure du midi afin d’être à point pour le dîner (je reviendrai sur la décantation. Le vin n’est pas si fragile qu’on pense). Encore ici, grillage ou viande braisée comme un osso buco. ****

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