Vous avez dit «déictique»?

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Publié 15/03/2011 par Martin Francoeur

J’ai fait une découverte intéressante. J’aime bien faire des découvertes, apprendre de nouvelles choses, de quelque nature que ce soit. Et j’aime encore mieux quand cela concerne la langue française. En fait, j’ai rencontré l’autre jour un mot que je ne connaissais pas encore et qui allait m’inciter à fouiller encore plus. Le mot en question? Déictique, tout simplement.

Avouez qu’on ne rencontre pas ce mot très fréquemment. Même en fouillant dans vos souvenirs d’apprentissage de la grammaire et de la syntaxe, il y a peu de chances qu’il s’y trouve.

Pourtant, c’est bel et bien un mot qui concerne le discours. En fait, un déictique est un mot qui doit être interprété à partir du contexte réel dans lequel un discours est énoncé. Pour interpréter correctement un déictique, d’autres informations contextuelles sont nécessaires.

Le plus beau dans tout ça, c’est que j’ai parfois eu des dilemmes qui concernaient justement l’utilisation de déictiques. Je vous ai déjà dit que je travaillais comme journaliste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Je ne vous ai cependant pas dit qu’il m’arrive à l’occasion de remplacer des collègues chefs de pupitre qui s’absentent pour des vacances ou des congés. Le chef de pupitre, c’est celui qui relit les textes, qui détermine leur positionnement dans le journal, qui choisit les titres, les photographies, et qui supervise les opérations de mise en page. Un sacré boulot.

Le chef de pupitre qui travaille en soirée, pour un quotidien, doit surveiller les nouvelles internationales qui entrent sur le fil de presse. Et récemment, un séisme en Nouvelle-Zélande allait m’imposer une réflexion concernant l’utilisation d’un déictique.

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C’est bien connu, les journalistes pour un quotidien doivent écrire leurs textes en fonction d’une lecture le lendemain, puisque le journal est livré au petit matin. Si un journaliste couvre une conférence de presse, alors il écrira quelque chose comme: «Le maire a déclaré, hier, que la construction de la nouvelle bibliothèque allait nécessiter un investissement de 
8 millions $.»

Dans cette phrase, le mot «hier» est un déictique. On tient pour acquis que le lecteur prend connaissance de l’information au lendemain de la conférence de presse. D’où la nécessité de référer au contexte.

Mais quand un événement international se produit, les dépêches mentionnent toujours le jour de la semaine.

Le chef de pupitre doit donc remplacer les «mardi» par des «hier» si le texte est prévu pour l’édition du mercredi. Or, quand un événement se produit en soirée à l’autre bout de la planète, où c’est déjà mercredi, on écrit quoi? Que le séisme «a eu lieu en avant-midi aujourd’hui»? N’oublions pas que le lecteur feuillette souvent son journal avant 9 heures. La solution qu’on a finalement retenue a été de dire que l’événement s’est produit «vers dix heures mercredi (heure locale)».

Voilà une longue entrée en matière pour expliquer ce que sont les déictiques. Ici, ce sont des déictiques temporels dont il est question: maintenant, aujourd’hui, hier, ce matin, cette semaine, etc. Ces adverbes ou ces locutions ne peuvent être interprétés que si le lecteur connaît le moment précis où se déroule l’action du récit.

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Il existe aussi des déictiques spatiaux, où il importe de connaître l’endroit précis où se déroule l’action du récit.

Ce sont des mots comme ici, là-bas, ailleurs, à côté… On pourrait aussi dire que certaines expressions ont une valeur de déictique : «dans la ville voisine, sur le terrain d’en face, etc.». Dans ces cas, il importe de savoir l’endroit d’où origine le récit.

Au Nouvelliste, il nous arrive fréquemment d’employer l’expression «dans la région» pour parler d’un phénomène ou d’un événement. On écrit, par exemple: «il s’agit du deuxième meurtre à survenir cette année dans la région» ou encore «la région affiche une solide performance en matière de création d’emplois».

On tient pour acquis que nos lecteurs sont concentrés dans la région que forme la Mauricie et le nord de la région Centre-du-Québec, qui correspond au territoire desservi par le journal.

Dans le cas du premier exemple («il s’agit du deuxième meurtre à survenir cette année dans la région«), on note qu’il y a non seulement un déictique spatial (dans la région) mais aussi un déictique temporel (cette année). Quelqu’un qui lirait cet article en 2021, par exemple, devrait tenir pour acquis qu’il a été écrit en 2010, par exemple.

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On dit qu’il est préférable d’éviter les déictiques à l’écrit. Il est en effet préférable de donner l’information la plus claire possible, afin qu’il n’y ait pas de confusion possible dans l’interprétation.

À l’oral, ceux-ci sont beaucoup plus fréquents. On imagine que l’interlocuteur se trouve dans le même contexte que celui qui les utilise, ce qui ne pose généralement pas de problème.

J’ai appris quelque chose de nouveau, vous dis-je. Je vais pouvoir dormir tranquille, ici et maintenant.

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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