Vers une reprise sans emploi?

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Publié 13/10/2009 par Nirou Eftekhari

Aux États-Unis, pays qui est responsable du quart du PIB mondial, la destruction de 263 000 postes d’emploi au mois de septembre, bien plus importante que celle prévue, 175 000, a fait passer leur taux de chômage à 9,8 %.

Chose encore plus surprenante, cette suppression inattendue des emplois s’est accompagnée d’une reprise économique au troisième trimestre de cette année, après quatre trimestres consécutifs de croissance négative qui ont suivi la crise financière de 2008.

Ce décalage est considéré comme normal par plusieurs économistes qui pensent que les mesures d’incitation et d’aide économique prises par le gouvernement d’Obama, un programme de 787 milliards $, n’ont pas encore pleinement fait sentir leurs effets et que les entreprises, préoccupées par l’assainissement de leur rentabilité financière, notamment par la compression de la masse salariale, sont encore trop incertaines quant à la solidité de la reprise économique pour augmenter leurs effectifs.

15 millions d’emploi

En vérité, la relation entre l’emploi et la reprise est plus complexe. Pour comprendre cette relation, il faut d’abord se rappeler l’impact de cette crise, considérée comme la plus grave depuis la Grande Dépression de 1929, sur le marché de l’emploi.

Selon l’OCDE, entre le mois de décembre 2007 et le mois de juin 2009, 15 millions emplois ont disparu dans les pays développés.

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En perdant 7,2 millions emplois, les États-Unis à eux seuls ont vu leur taux de chômage monter de 4,9 à 9,5 % pendant cette courte période. Mais, ce n’est pas fini. On prévoit la perte de 10 millions emplois supplémentaires au cours des mois à venir dans ces pays. Ceci fera passer le taux de chômage aux États-Unis à plus de 10 % de leur population active au courant de 2010.

Cette perte massive d’emplois est-elle un phénomène réversible, c’est-à-dire peut-on espérer regagner les emplois aussi rapidement qu’on les a perdus et revenir au taux de chômage en vigueur juste avant le déclenchement de la crise, qui dans les pays de l’OCDE, n’était que de 5,6 %?

L’énormité des dépenses engagées par les gouvernements occidentaux pour venir à bout de cette crise, la bonne performance des marchés boursiers après leur grande dégringolade en 2008, l’idée que l’on avait atteint le creux de la vague et que les choses ne pourraient aller désormais qu’en s’améliorant ont entretenu l’illusion que la reprise ferait reculer la crise sans trop de difficultés.

L’augmentation du nombre de chômeurs au-delà de ce qui était prévue, montre que les effets de la crise peuvent perdurer tout au long de la reprise, avec éventuellement une détérioration encore plus marquée de la situation de l’emploi. Elle montre également que pour récupérer les emplois perdus et courber le chômage, la reprise doit être bien plus vigoureuse.

Consommatio

Aux États-Unis, comme dans les autres pays occidentaux, la consommation des ménages est la principale source de la demande qui soutient les activités. Face à l’incertitude que produit la récession, les ménages préfèrent toujours limiter leur consommation et augmenter leur épargne, réduisant ainsi les possibilités d’investissement et donc de création d’emploi dans les entreprises.

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Le lien entre la reprise et l’emploi n’est donc pas à sens unique. S’il faut compter sur la reprise pour voir le chômage se résorber, l’évolution du marché de l’emploi qui agit sur les dépenses de consommation des ménages, conditionne à son tour la solidité de la reprise.

Vu la faiblesse de la demande privée, certains économistes comme Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, n’hésitent pas à préconiser une nouvelle hausse des dépenses publiques qui ont déjà produit, aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe occidentale, des déficits historiquement sans précédent. On peut se demander si le financement de ces déficits records ne risque pas de freiner l’essor de la reprise, soit par une augmentation des taux d’intérêt, soit par d’autres moyens permettant aux gouvernements de confisquer l’épargne des ménages, deux solutions qui poussent les entreprises à comprimer encore davantage la masse salariale afin de répondre à l’exigence d’une plus grande rentabilité du capital et d’une plus grande marge d’autofinancement.

Pas avant 2015

Si l’hypothèse d’une forte reprise par la consommation ou par l’endettement public est plutôt à écarter, il faut bien admettre qu’un retour au niveau d’emploi en vigueur avant la crise ne se fera pas avant plusieurs années, peut-être vers le milieu de la prochaine décennie, comme le soutiennent plusieurs économistes. Pour l’année 2010, le FMI ne prévoit qu’une croissance modeste de 1,3 % pour l’ensemble des pays développés.

La situation est jugée bien meilleure dans les économies émergentes qui représentent un potentiel de consommation très élevé en raison de leur fort taux de croissance économique, estimé par FMI à 9% pour la Chine et à 6,4 5 pour l’Inde en 2010, et du faible endettement de leurs ménages.

Mais on peut encore se demander dans quelle mesure l’ouverture des marchés de ces pays aux produits étrangers leur permet de jouer le rôle du moteur de la croissance économique mondiale dans les années à venir.

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Endettement massi

Au total, la crise de l’emploi est le reflet du passage d’un modèle de croissance qui jusqu’en 2007 s’est caractérisé dans les pays développés par l’endettement massif des ménages et la hausse spéculative des marchés immobiliers et boursiers, à un modèle de croissance ou l’incertitude face à l’avenir freine la consommation et les possibilités de lutter efficacement contre le chômage.

Ce que l’on peut par contre affirmer avec certitude c’est que la persistance d’un taux de chômage élevé ne manquera pas de provoquer des déséquilibres sociaux bien connus: l’émergence d’une société à deux vitesses, le développement des emplois précaires et temporaires, le gel des salaires, la marginalisation des jeunes et des pauvres qui supportent l’essentiel du poids des licenciements et du chômage, etc.

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