Universalismes d’hier et d’aujourd’hui

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 08/01/2008 par Nirou Eftekhari

L’humanité est comme les membres d’un seul corps créé par la même puissance. Si l’un d’entre eux est en souffrance, les autres n’en seront pas épargnés. Si tu es indifférent aux malheurs de tes semblables, tu ne mérites pas d’être nommé un être humain.
– Saadi, poète philosophe persan du XIIIe siècle

L’idée de l’universalisme est présente dans toutes les grandes religions. Dans le christianisme, le terme catholique signifie universel. Devenu religion officielle de l’empire romain vers la fin du IVe siècle, le christianisme mettait fin aux croyances païennes pour assurer la cohésion et la permanence de cet empire qui s’étendait à l’époque à une partie importante du monde connu.

L’universalisme est également présent dans l’islam à travers notamment son concept de Towhide (unicité) qui considère l’humanité comme un tout indivisible et l’émanation d’un Dieu unique. L’invasion arabe au VIIIe siècle s’est appuyée sur ce concept pour justifier ses conquêtes et son expansion mondiale. Plus tard, le règne des Califats s’est servi de cet idéal unitaire de l’islam pour assurer le contrôle des pays et territoires conquis.

Les idées de justice et d’égalité inhérentes aux universalismes prêchés par ces grandes religions n’ont cependant pas empêché une confrontation sanglante des civilisations pendant les croisades. C’était également au nom de l’universalisme chrétien que les missionnaires ont participé à partir du XVe siècle à l’œuvre de la colonisation des pays d’outre-mer pour civiliser le reste du monde.

C’est avec la montée de la bourgeoisie et notamment la Révolution française à la fin du XVIIIe siècle que l’universalisme s’est imposé au plan politique.

Publicité

L’égalité de tous devant la loi incarnée par l’État-nation et la reconnaissance formelle des droits fondamentaux de l’homme allaient désormais frayer le chemin et écarter les obstacles pour l’expansion mondiale du capitalisme. Le libéralisme montant avec ses concepts abstraits des libertés relayait au second plan les différences religieuses, ethniques, culturelles et raciales des populations afin d’homogénéiser l’espace de la rentabilité du capital à l’échelle planétaire.

Cependant, loin de favoriser l’avènement d’un monde solidaire et pacifique, il a attisé la concurrence et la compétition entre les nations aboutissant aux deux grandes guerres mondiales et à la montée du fascisme au XXe siècle.

De même, l’internationalisme ou la solidarité internationale des régimes communistes au siècle passé constituait plutôt une propagande politique pour masquer la main mise sur l’intégrité territoriale et la souveraineté politique des pays victimes de la guerre froide qui avait de fait divisé le monde entre deux blocs en imposant un équilibre de terreur.

Au total, les universalismes passés, même s’ils constituaient au départ de grandes idées originales, avec la promesse d’un monde fraternel, sont devenus, à un moment ou un autre de leur évolution, des instruments de pouvoir, de domination et de manipulation.

Faudrait-il pour autant conclure que l’universalisme au sens de valeurs communes partagées par des peuples, pays et cultures différents en vue de la réalisation d’une œuvre collective qui doit nous guider vers un plus grand degré de justice, d’entente et de paix, n’est qu’une illusion et que nos divergences sont toujours plus fortes que ce qui nous rassemble et nous réunit à travers le monde?

Publicité

Plusieurs indices montrent que l’universalisme d’aujourd’hui, bien que n’étant pas encore défini comme un corps cohérent de pensées, comme ce fut le cas des religions et doctrines philosophiques ou politiques passés, ne constitue pas une répétition des discours déjà prononcés. Il puise ses origines dans les transformations de notre monde et dans son cheminement vers des réalités qu’il est de plus en plus impossible d’ignorer.

Face aux problèmes existentiels graves qui concernent l’ensemble de l’humanité, tels que la transnationalisation des phénomènes économiques et financiers, la crise de l’environnement, la rivalité intercontinentale pour le contrôle et la maîtrise des ressources naturelles, le terrorisme et la nucléarisation de la planète, pour n’en nommer que quelques uns, force est de constater que de nouvelles structures s’appuyant sur de nouvelles valeurs sont indispensables.

Ces structures ne devraient pas être l’émanation de la volonté d’une superpuissance, comme on le reproche souvent à l‘ONU.

Aucun pays, aussi puissant soit-il, ne contrôle l’économie mondiale dont la logique ou plutôt son absence s’impose pourtant à tous. Le réchauffement planétaire requiert la coopération de toutes les nations car encore une fois aucun pays ne peut à lui seul lutter contre ce fléau et ses conséquences tragiques.

Le développement accéléré des pays considérés jadis comme sous-développés et pauvres, de plus en plus énergivores et dépendants des matières premières, a renforcé la compétition internationale pour la maîtrise de celles-ci. Selon plusieurs observateurs, l’accès à ces ressources, devenu vital pour un nombre croissant de pays, constitue un enjeu important pour la paix internationale.

Publicité

De même, tous les pays, riches ou pauvres, sont aujourd’hui confrontés au terrorisme qui a trouvé un terrain favorable de développement dans les injustices et inégalités perpétrées dans le monde. Il ne peut être véritablement déraciné que si tous les pays, notamment ceux parmi les plus puissants, reconnaissent leur responsabilité dans l’apparition de ces dernières.

Jusqu’à présent, le terrorisme a employé des moyens de destruction limités, mais en cas de développement d’un marché noir des produits nucléaires et radioactifs, sommes-nous vraiment loin du jour où il pourrait se procurer les éléments lui permettant de fabriquer une bombe atomique?

L’énormité de ces problèmes et les ruptures qu’ils risquent d’entraîner sont telles que nous sommes aujourd’hui condamnés à penser et à agir en termes universels. Contrairement aux universalismes passés, celui d’aujourd’hui est né de la nécessité pratique de solutionner des problèmes qui ne sont pas du ressort d’une seule nation ou d’un groupe limité de pays, mais plutôt de l’ensemble de l’humanité.

Là où les autres universalismes ont échoué, celui d’aujourd’hui doit triompher sous peine de voir s’aggraver une situation qui ne peut plus durer avec des conséquences potentiellement apocalyptiques. Il ne s’agit pas donc d’un vœu pieux, d’un choix parmi d’autres ou d’une option quelconque, mais plutôt d’un impératif inévitable et incontournable qui découle du fait que le monde n’a jamais été aussi interdépendant, intégré et en même temps exposé aux risques d’anéantissement.

Bien que définir l’universalisme d’aujourd’hui en termes précis soit une tâche impossible, on peut néanmoins confirmer que dans ses grandes lignes il implique un changement des mentalités et de nos conceptions au point où chacun se considère d’abord et avant tout comme membre de la communauté mondiale que comme citoyen d’un pays particulier.

Publicité

Pour certains, c’est un rêve qui ne se réalisera jamais, mais ne sommes-nous pas le produit des rêves qui, dans leur temps, paraissaient aussi irréalisables?

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur