Une tradition digne d’Hérode

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Publié 29/07/2010 par François Bergeron

C’est le branle-bas de combat dans les administrations publiques, les groupes sociaux et certains milieux commerciaux et financiers, contre la décision des Conservateurs de remplacer la version longue (40 pages) du recensement, distribuée à un cinquième des ménages, par une enquête un peu plus courte, facultative, au tiers des foyers du pays. La version courte (2 pages), distribuée à toutes les adresses, serait inchangée et resterait obligatoire.

Le chef de Statistique Canada, Munir Sheikh, a préféré démissionner plutôt que cautionner un processus qui dégraderait l’exercice quinquennal, dont le prochain est prévu en 2011. D’un point de vue scientifique (la statistique étant une science), il ne fait pas de doute qu’un sondage obligatoire recueillerait des données plus complètes et plus fiables qu’un sondage facultatif. De plus, le nouveau système provoquerait un «bris de série» en passant d’un type de questions à un autre: on pourrait plus difficilement comparer les nouvelles données aux anciennes.

Statistique Canada ne sera cependant jamais omnisciente ni infaillible. C’est un outil auquel on aurait tort de se fier aveuglément, comme le GPS qui rend parfois les automobilistes stupides. Les informations recueillies au moyen du recensement révèlent surtout des tendances que le gouvernement a le droit de chercher à corriger ou à encourager.

De plus, en l’absence de tout recensement, Statistique Canada arriverait sans doute à recueillir et analyser toutes les données dont on aurait besoin en ayant accès à celles d’autres agences fédérales (on pense notamment à l’impôt et à l’immigration), d’autres niveaux de gouvernement (ministères provinciaux des Transports, de la Santé, du Logement, municipalités, services policiers) et diverses fédérations professionnelles ou regroupements industriels.

Les recensements existent depuis l’Empire romain et servaient évidemment à mieux taxer les citoyens. L’un d’eux est associé à la naissance de Jésus: c’est pour s’inscrire sur la liste officielle, comme la loi les y obligeait, que Joseph et Marie se rendaient à Bethléem selon la légende. À l’ère de l’internet, on pourrait innover.

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Plusieurs questions du recensement long sont sans doute superflues. À quoi sert de chercher à connaître l’origine ethnique de chacun, alors que la tendance est au métissage et que de plus en plus de gens répondent «Canadien», mais pas leur religion, une donnée potentiellement plus intéressante pour nos agences de sécurité?

Hors Québec, les francophones ont besoin de statistiques précises pour justifier l’établissement d’une clinique de santé, d’une école ou d’un centre communautaire dans tel quartier ou telle région. Mais ces mêmes statistiques motivent parfois aussi un refus d’afficher dans les deux langues officielles ou d’embaucher du personnel bilingue, alors que le bilinguisme devrait être valorisé partout, quel que soit le nombre de francophones… voire justement là où il en manque!

Les Libéraux accusent les Conservateurs d’avoir pris une décision «idéologique» (les Libéraux n’ont pas d’idéologie?), c’est-à-dire ici d’être animés d’une volonté de nuire à l’État, de limiter la capacité de la bureaucratie de réglementer toutes nos activités. Si seulement c’était vrai! Venant d’un gouvernement vendu, autant que l’opposition, à l’idée que l’augmentation des dépenses publiques et des déficits stimule la croissance économique, on peut en douter.

D’ailleurs, loin de permettre des économies, le nouveau système coûterait 30 millions $ de plus que le recensement actuel. Ce n’est pas très «conservateur».

Stephen Harper et son ministre Tony Clement (et une bonne moitié des Canadiens selon les sondages) sont surtout scandalisés à l’idée d’infliger une amende (500$) ou une peine de prison (trois mois) à ceux qui refuseraient de compléter le questionnaire – soit par sentiment anarchiste, soit plus vraisemblablement parce qu’ils trouvent ça trop compliqué – ou aux facétieux qui répondraient «klingon» à la question sur la langue parlée à la maison.

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Le fait que la loi n’est pratiquement jamais appliquée (comme la loi sur la participation obligatoire à un jury) serait secondaire. Selon les partisans du recensement obligatoire, sa seule menace suffit à générer le haut taux de réponses désiré. Cependant, n’y a-t-il pas lieu s’interroger sur la moralité d’une loi qu’on a pas l’intention d’appliquer?

D’aucuns rétorquent que la participation au recensement est un «devoir» civique, comme voter aux élections, qui devrait aussi être obligatoire selon plusieurs. Dans ce cas-là, pourquoi pas aussi le service militaire? On est sur une pente glissante.

Capitalisant sur la vague de sympathie envers le statisticien en chef démissionnaire et l’inquiétude de nombreux utilisateurs de statistiques officielles, mais soucieuse de ne pas déplaire aux nombreux Canadiens pour qui répondre au recensement long représente une corvée, l’opposition a proposé le compromis le moins «idéologique» qui soit: conserver le caractère obligatoire du recensement mais éliminer l’amende et la peine de prison… Comme ça, rien ne se perd rien ne se crée, l’été peut continuer.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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