Une occupation virtuelle

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Publié 24/10/2011 par François Bergeron

Le mouvement Occupy Wall Street, qui a fait des émules à Toronto et dans plusieurs autres villes, est d’abord un événement médiatique.

Tout est «médiatique» quand tout le monde en parle, direz-vous. Mais ici, l’idée originale elle-même vient d’un média, Adbusters, magazine «global» pour un mouvement «global»… «anti-globalisation», qui a frappé l’imagination de milliers d’internautes cet été en appelant les «indignés» de la crise financière à «occuper» pacifiquement Wall Street à New York à partir du 17 septembre.

Surtout, OWS est d’abord un événement médiatique parce que son impact est ressenti presque exclusivement dans le monde virtuel. La couverture de presse qu’il obtient (parce que la plupart des journalistes sont des internautes et des idéalistes eux aussi) est démesurée par rapport à ce qui se passe vraiment dans la société, c’est-à-dire: rien de spécial. On ne peut pas comparer ça au Printemps arabe, qui réoriente la vie de millions de personnes et qui mérite pleinement sa couverture médiatique.

Au parc Zuccotti de New York comme au parc St. James de Toronto, la centaine de campeurs, rejoints par un millier de marcheurs samedi, sont tour à tour encouragés ou critiqués par des dizaines de milliers de chroniqueurs et de blogueurs des grands et des moyens médias, et ils inspirent des millions de commentaires et d’échanges sur Facebook et Twitter. Un tel tohu-bohu est aussi le pain et le beurre de publications «alternatives» comme Now ou Rolling Stone, et de «comiques sérieux» comme Jon Stewart, Steven Colbert et autres Infoman à la télévision.

Jusqu’à maintenant, sous les nouvelles bannières à la mode («Nous sommes les 99%», «Arrêtez le 1%», le drapeau américain où les étoiles sont remplacées par des logos corporatifs), on retrouve sur le terrain les mêmes habitués des manifs contre un sommet du G20 ou une visite de George W. Bush, souvent encadrés par les syndicats de la fonction publique (qui ont fourni l’article le plus important au parc St. James: les toilettes portatives) et auxquels se joignent ponctuellement des défenseurs de causes très (trop) spécifiques: réclamations territoriales autochtones, alerte aux changements climatiques, révolution en Iran, droits des accidentés du travail, vérité sur les attentats du 11 septembre 2001, etc.

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Un thème central réussit quand même à s’imposer dans la cacophonie émanant d’OWS: la «collusion» entre la haute finance, les grandes entreprises et les administrations publiques, qui opèrerait un gigantesque détournement de fonds, expliquerait les difficultés actuelles et minerait notre démocratie. Avec un corollaire: voter est inutile parce que tous les partis sont inféodés aux corporations. Il ne reste plus qu’à descendre dans la rue et remplacer tout ça par une «démocratie participative».

On ne sait pas ce que ça mange en hiver, mais ne serait-ce pas là une forme extrême de «collusion»? Peut-on d’ailleurs imaginer un gouvernement démocratique qui ne consulterait pas régulièrement les principaux intervenants de la société avant d’adopter ses lois? On peut critiquer un gouvernement qui consulterait toujours les mêmes personnes et ignorerait systématiquement les autres, et on peut évidemment dénoncer la gestion qui résulterait d’un tel processus, mais on peut difficilement imaginer – ni souhaiter – des élus qui travailleraient sans aucun «input» de leurs électeurs.

Comme une horloge brisée qui donne l’heure juste au moins deux fois par jour, les «indignés» critiquent le capitalisme depuis plusieurs années, voire plusieurs générations, et parfois des événements exceptionnels comme la crise financière mondiale de 2008, venue de Wall Street, paraissent leur donner raison.

D’ailleurs, quelques-uns de nos grands argentiers affirment partager la frustration des manifestants, à commencer par le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, qui a qualifié leur action de «constructive».

Ed Clark, le patron de la TD, leur conseille de «tenir leur bout» («stick to your guns»). «Demander aux gens qui occupent Wall Street ou Bay Street d’avoir toutes les réponses est absurde», dit-il. «Ils font leur travail en faisant valoir que le système ne fonctionne pas pour tous.»

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De son côté, la présidente du Mouvement Desjardins, Monique Leroux, reconnaît que la mobilisation démontre qu’il y a «une forme de déconnexion» entre la population et l’élite financière. «On doit se préoccuper de ces phénomènes», ajoute-t-elle. «Une finance qui n’est fondée que sur une question de produits dérivés, moi personnellement, ça me laisse assez sceptique. La finance, elle est là pour soutenir, c’est un levier au développement de l’économie réelle. La finance doit être là pour permettre aux gens, aux entreprises, de se développer.»

Notons que la bulle des hypothèques toxiques avait été pompée par les garanties offertes par des institutions publiques comme Fannie Mae, Freddy Mac et chez nous la SCHL, par les taux d’intérêt réduits à presque zéro par nos banques centrales (publiques) pour aider nos gouvernements endettés, pour décourager l’épargne et pour encourager la spéculation, à laquelle ont d’ailleurs participé avec enthousiasme d’autres institutions publiques comme la Caisse de dépôts et de placements du Québec.

On est en droit de se scandaliser de la socialisation des dettes privées, c’est-à-dire du sauvetage, par nos gouvernements, donc avec l’argent des contribuables (qu’on est malheureusement trop habitué à voir gaspiller), des banques et des entreprises qui ont pris de mauvaises décisions et que, dans un vrai système capitaliste, on aurait dû laisser couler.

Bien sûr, nos «indignés» (du pamphlet Indignez vous! de Stéphane Hessel?) ne souhaitent pas restaurer un vrai système capitaliste, ou même le réformer, mais bien éliminer ce qui en reste. Les conséquences d’une telle révolution (qui n’est pas pour demain, on s’entend: ici, on parle pour parler) seraient bien pires que celles de la crise financière actuelle, et produiraient encore plus d’inégalités et d’injustices (et de destruction de l’environnement et de guerres) que celles qu’on s’imagine combattre avec OWS.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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