Une légitimité incontestable

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Publié 17/06/2014 par François Bergeron

Surprise: la participation au scrutin ontarien du 12 juin a dépassé 52%, renversant une tendance à la baisse depuis 1990 (64%) que d’aucuns croyaient inexorable. En 2011, triste record, moins de 49% des Ontariens avaient voté.

C’est une double victoire pour la première ministre Kathleen Wynne, qui a décroché 58 sièges à l’Assemblée législative, la majorité, avec seulement 39% des suffrages exprimés (contre 28 sièges et 31% du vote pour les conservateurs de Tim Hudak, 21 sièges et 24% pour le NPD d’Andrea Horwath). Mme Wynne a donc les coudées franches pour diriger l’Ontario comme elle le souhaite pendant les quatre prochaines années.

Mais, pour ce qui est du taux de participation, il n’y a tout de même pas encore de quoi pavoiser. Alors que, sous d’autres latitudes, des millions de personnes ne peuvent que rêver de démocratie, et parfois montent au front et versent leur sang pour obtenir des élections libres, seulement un Ontarien sur deux a pris une petite heure, jeudi, pour aller voter.

On dit que, contrairement aux Québécois, c’est la politique fédérale qui intéresse les Ontariens, soi-disant piliers de la «nation» canadienne. Sauf que le taux de participation n’était que de 57% en Ontario aux dernières élections fédérales. Il était de 63% au Québec où, en effet, c’est la politique provinciale qui est «nationale»: 71% des électeurs se sont rendus aux urnes le 7 avril dernier pour élire le gouvernement libéral de Philippe Couillard.

De multiples raisons, certaines plus valables que d’autres, expliquent la relative apathie des Ontariens. Aucune ne la justifie pleinement.

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Polarisatio

Contrairement à ce qu’on a parfois entendu comme explication de l’indécision des citoyens, l’affrontement de deux options radicales – l’incontinence fiscale des libéraux de Kathleen Wynne vs la discipline brutale des conservateurs de Tim Hudak – a stimulé la participation.

Libéraux et conservateurs rejetteront ces caricatures d’eux-mêmes, mais la peur des conservateurs instillée par les libéraux (et les néo-démocrates) l’a bel et bien emporté sur le mépris des libéraux colporté par les conservateurs (et les néo-démocrates).

C’est quand tous les partis disent pratiquement la même chose que les électeurs décrochent, pas quand les choix sont clairs.

La campagne «centriste» du NPD, traditionnellement voué à un État interventionniste, mais qui promettait cette fois de regarder à la dépense, n’a d’ailleurs pas fonctionné. Il y a cependant d’autres raisons à cela. Le score d’Andrea Horwath (qui a tout de même sauvé les meubles) n’invalide pas à jamais le modèle centriste.

Fantôme

On a dit aussi que les fantômes de Dalton McGuinty, Mike Harris et Bob Rae hantaient la campagne électorale, contrecarrant les efforts de leurs successeurs respectifs.

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Là aussi, il faut savoir à qui on parle. Les conservateurs gardent un très bon souvenir de Mike Harris, mais il est vrai que sa diabolisation par les libéraux et les néo-démocrates a pu décourager des nouveaux venus de s’intéresser au parti de Tim Hudak.

Le bilan de Dalton McGuinty n’est pas totalement négatif lui non plus. La politique énergétique «verte» a dérapé, mais elle était à la mode à l’époque. Les candidats locaux de tous les partis s’opposaient aux fameuses centrales au gaz d’Oakville, dont le déménagement s’est avéré si coûteux. On s’attendait à ce que l’inévitable usure du pouvoir démobilise un certain nombre de libéraux le 12 juin, mais, de toute évidence, Kathleen Wynne a su rebondir.

Quant à Bob Rae (trahis par ses «alliés» syndicaux, et on verra ce qu’ils réservent à Kathleen Wynne), ce sont ses tribulations qui avaient favorisé l’élection de Mike Harris, mais ça commence à faire longtemps. Le souvenir de son administration déficitaire a été exorcisé par Andrea Horwath et, au fédéral, par Thomas Mulcair, qui veut lui aussi faire du NPD un parti centriste pragmatique. Surtout, Bob Rae lui-même s’est «racheté» en passant chez les libéraux fédéraux, dont il a failli deux fois devenir le chef.

Enjeu

Alors que tout pointe vers un certain désarroi des citoyens face à la complexité de la vie en société et des administrations publiques modernes, on trouve toujours des abstentionnistes pour prétendre qu’au contraire nos partis politiques (et nos médias) traitent les grands enjeux de manière trop superficielle.

À leurs yeux, les enjeux les plus importants (souvent mondiaux) sont évacués au profit de questions locales triviales ou, pire, de considérations sur la personnalité des chefs, transformant la politique en sport ou en divertissement pour les masses incultes.

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Cette campagne ontarienne a été monopolisée par les thèmes de la création d’emplois et de l’assainissement des finances publiques, au détriment de presque tous les autres, y compris la santé, l’éducation, l’environnement, la justice, le multiculturalisme… Mais justement, on a eu droit à un rare affrontement de visions d’ensemble qui, au-delà des slogans réducteurs, faisait appel à l’intelligence autant qu’aux émotions.

De plus, pour ces électeurs «sophistiqués», on trouvait sur nos bulletins de vote des libertariens, verts, communistes et autres représentants d’options soi-disant plus cohérentes que celles de nos trois grands partis. Aucune raison ici de boycotter les urnes.

Systèm

On accuse notre système électoral lui-même de rebuter un certain nombre d’électeurs, surtout des jeunes, portés à croire que leur vote «ne compte pas». Il faudra examiner dans le détail qui a voté et qui est resté indifférent, et surtout leur demander pourquoi.

On est parfois tiraillé entre le représentant de notre parti provincial préféré et un autre candidat local plus intéressant. Ou on est frustré d’apprendre par les médias que notre candidat ou notre parti n’a aucune chance dans notre circonscription. Revenez-en svp. Le vote du 12 juin ne nous a-t-il pas réservé plusieurs surprises?

Le nombre de sièges remportés par chaque parti à l’Assemblée législative détermine qui forme le gouvernement, mais celui-ci ne peut pas ne pas tenir compte d’une répartition trop différente du vote populaire, ni d’ailleurs d’une trop faible participation au scrutin.

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Ce ne sera pas spécialement le cas ici. La légitimité de Kathleen Wynne est incontestable: les votes libéraux et néo-démocrates s’additionnent. On aurait toutefois poussé des hauts cris si Tim Hudak avait décroché une majorité de sièges avec 39% des suffrages, la majorité des électeurs se sentant floués. Mais il serait dommage – dommageable – de verser dans la proportionnelle pure et d’abandonner la «prime à la stabilité» qui est accordée, dans le système actuel, au parti qui remporte une pluralité de sièges.

Au lendemain du 12 juin, les Ontariens sont relativement heureux d’avoir la paix pendant quatre ans (du moins c’est ce qu’ils s’imaginent), au lieu de ne jamais savoir d’un mois à l’autre si le gouvernement tombera ou si ses projets seront adoptés.

Le système préférentiel à choix multiples hiérarchisés («ranked ballot» en anglais) est un bon compromis entre le système actuel et la proportionnelle. Cela fait partie des réformes à considérer, qui devraient – pour qu’on continue de respecter les règles du jeu – faire l’objet du plus large consensus des élus à Queen’s Park.

Aussi, il faudra bien un jour instituer le vote par Internet, en s’assurant de continuer d’en respecter la sécurité et la confidentialité. Il ne fait pas de doute que cela stimulerait la participation, et ça coûterait moins cher que nos élections actuelles.

Obligatoire

On suggère périodiquement de rendre le vote obligatoire au Canada, aux trois niveaux de gouvernement, comme ça se fait dans d’autres démocraties. Ça incite les gens à s’informer avant de voter, croient les optimistes. Ça amène aux urnes des électeurs désintéressés qui votent au hasard, craignent les pessimistes.

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De fait, on a déjà proposé de limiter le droit de vote aux gens qui résident dans la juridiction depuis un bon moment, qui paient leurs impôts, qui savent lire ou qui sont sains d’esprit. Mais on a toujours opté pour un système universel, plus facile à gérer.

Surtout, un droit peut difficilement être en même temps une obligation. Et quelle peine infligerait-on aux contrevenants? Ça discréditerait le processus, alors qu’on veut justement le valoriser. Personnellement, que la moitié de la population qui ne s’intéresse pas à la politique laisse à l’autre moitié le soin d’élire nos dirigeants, ça me convient. En tant que journaliste, par contre, c’est un constat d’échec.

Il faut certainement s’inquiéter de la baisse de la participation à nos élections même si, après le 12 juin, on ne peut plus affirmer que c’est une tendance lourde.

Certains l’attribuent à un désengagement graduel de nos administrations publiques dans la vie des gens, qui se débrouilleraient très bien sans gouvernement. Ce serait merveilleux si c’était le cas, mais la victoire du Parti libéral le plus interventionniste depuis des lunes, a fortiori contre des conservateurs purs et durs, contredit cette notion.

Médias d’information et partis politiques doivent réévaluer régulièrement leur discours et leur action pour motiver les citoyens à participer à la vie publique de la manière la plus élémentaire: voter aux élections.

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Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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