Un musée de la rue pour les gens et leur culture

Le Bureau National d’Ethnologie

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Publié 22/02/2016 par Annik Chalifour

L’air serein, les yeux rieurs, Jean Erol Josué m’accueille pour un entretien le 3 décembre 2015 à l’ombre de la vaste cour aérée du Bureau National d’Ethnologie (BNE) de Port-au-Prince qu’il dirige depuis 2012.

Dès notre premier échange de regards, je ressens qu’Erol est un être à part, mystérieux, excentrique. Non seulement est-il le directeur du BNE, mais aussi un auteur-compositeur, chorégraphe, danseur, chanteur et prêtre vodou, connu comme «Protecteur du Patrimoine immatériel.»

Son profil inédit s’arrime superbement à son rôle de gardien du patrimoine culturel haïtien. Homme de terrain audacieux, totalement ancré dans ses racines populaires, Erol Josué fusionne art et anthropologie avec acuité, sensibilité et détermination.

Outre son travail d’ethnologue et de prêtre vodou, depuis le séisme de 2010, Erol a lancé un mouvement qu’il nomme art-thérapie «où j’invite le chanteur et le danseur à s’exprimer en chacun des participants», définit-il.

Hors zone

«J’ai grandi au sein d’une éducation familiale centrée sur la religion vodou», confie Erol. Ses talents de chanteur et danseur ont évolué dans la pratique du vodou, devenue aujourd’hui la source de son inspiration nichée entre savoirs ancestraux et tournure contemporaine. Un artiste vodou hors zone que l’on décrit «aussi à l’aise dans le roots que l’électro.»

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«Mon action tend à éliminer les clichés associés à la riche expression du vodou en Haïti, mais aussi à la faire comprendre dans une perspective plus élargie», explique Erol, dont les concerts se sont révélés «magnétiques» à New York et en France. L’artiste prépare un tout nouvel album Pèlerinage (français-créole) qui sortira en mars 2016.

Cuba-Haïti

Á l’occasion du 10e Festival International de Jazz de Port-au-Prince (23-30 janvier 2016), Omar Sosa, pianiste et percussionniste cubain vivant à Barcelone, était l’invité du BNE. Sosa est un initié de la santería, une religion originaire des Caraïbes, très proche de la culture afro-cubaine pratiquée à Cuba, en Colombie et au Venezuela.

Josué et Sosa ont performé ensemble sur la scène Delta (Le Triomphe) jeudi 28 janvier 2016. «Une rencontre au sommet des esprits de la culture afro-cubaine et ceux de la culture vodou», décrivait le Festival. Selon le BNE, il s’agissait «d’un moment opportun et idéal pour restituer l’importance de ces deux cultures profondes de la Caraïbe, la culture afro-cubaine et la culture vodou.»

Espace scientifique

Encerclé d’un grand parc ouvert au public en tout temps, l’édifice du BNE logé au cœur de Port-au-Prince, recèle de nombreux objets fascinants liés au culte vodou «véhiculant l’esprit de nos ancêtres», selon Erol. En parcourant les expositions, on éprouve l’étrange sensation que fétiches et statuettes nous suivent des yeux.

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Notre guide Erol, au style décontracté-sophistiqué, détend l’atmosphère. On circule librement à la découverte de plusieurs pièces ethnographiques et archéologiques rarissimes, d’antiquités et de statues opulentes, précieux vestiges du vécu haïtien étalés tant à l’intérieur du bâtiment qu’en plein air.

«Un musée de la rue pour les gens et leur culture. Un espace scientifique et éducatif pour instruire et stimuler l’étude de l’identité culturelle haïtienne en mettant l’accent sur deux de ses composantes, l’africaine et l’amérindienne», détaille Erol durant notre visite.

Le Bureau d’Ethnologie fondé par Jacques Roumain en 1941 «a pour mission contemporaine d’identifier, de classer et de conserver tout objet archéologique retrouvé sur le territoire haïtien, mais aussi d’effectuer et de diffuser des recherches sur la culture haïtienne.» En plus du musée d’ethnologie, le Bureau comprend les services d’archéologie, d’anthropologie et de documentation.

Savoirs traditionnels

Durant le 12e Festival des Arts de la Caraïbe (21-30 août 2015), le BNE a présenté l’exposition Haïti, Terre de tous les commencements!, sous la direction de Jean Erol Josué, «retraçant l’itinéraire du vodou haïtien dont la cérémonie du Bois-Caïman (14-15 août 1791) qui a favorisé l’effondrement du plus grand système colonial esclavagiste», cite-t-il.

On a dépeint l’exposition telle «une œuvre unique témoignant du transfert des savoirs et des influences de l’héritage des Tainos et de l’Afrique vers le nouveau monde, mais se voulant aussi une réflexion scientifique sur le vaudou comme patrimoine culturel matériel et immatériel mettant en valeur les savoirs et les savoir-faire traditionnels haïtiens.»

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Cette exposition représentait l’aspiration de Jean Erol Josué «de parvenir à valoriser la production du savoir ethnologique et à transformer le Bureau National d’Ethnologie en carrefour du dialogue culturel en Haïti.»

200 monuments

En décembre 2015, Erol et son équipe se sont rendus au Cap-Haïtien (nord du pays) dans le cadre d’une mission exploratoire afin de faire un inventaire de pièces archéologiques qui seront exposées au Musée Ethnographique de la direction régionale du BNE dans le Nord de l’île.

Ils ont visité plusieurs sites à haute valeur culturelle et architecturale dont, entre autres, le Palais de Sans-Souci et l‘ancien pénitencier du Cap. Le Palais et ses bâtiments (1811) groupés en amphithéâtre sur une superficie de huit hectares, font partie du Parc National Historique Sans-Souci Ramiers classé Patrimoine de l’Humanité en 1982.

L’établissement carcéral du Cap-Haïtien construit au 18e siècle classé patrimoine national, sert aujourd’hui de bureau départemental du ministère de la Culture qui accueillera bientôt le bureau régional du BNE.

Haïti possède 200 monuments et sites historiques surprenants répartis à travers l’ensemble de son territoire. Le BNE répond à une urgente nécessité de préserver et de valoriser le patrimoine captivant du pays, symbole permanent de la remarquable histoire haïtienne.

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Cette chronique est alimentée au gré des explorations d’Annik Chalifour en terre haïtienne. La journaliste revient d’un 4e séjour en Haïti – décembre 2015 – et planifie d’y retourner en 2016. Décoration d’intérieur, arts de la scène, création de mode et artisanat, chant et danse vaudou, ethnologie, photographie, tourisme patrimoine et alternatif sont au rendez-vous.

Auteur

  • Annik Chalifour

    Chroniqueuse et journaliste à l-express.ca depuis 2008. Plusieurs reportages réalisés en Haïti sur le tourisme solidaire en appui à l’économie locale durable. Plus de 20 ans d'œuvre humanitaire. Formation de juriste.

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