Un million d’erreurs de calcul

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Publié 03/06/2014 par François Bergeron

Tim Hudak aura des explications à fournir, dans le débat télévisé de mardi soir, sur les calculs qui l’ont amené à promettre un million de nouveaux emplois au cours des huit prochaines années – son slogan et son unique cheval de bataille en vue du scrutin du 12 juin en Ontario.

Des économistes soutiennent que les conservateurs pourraient avoir mal interprété certaines données du Conference Board, notamment en comptant comme de nouveaux emplois permanents ce qui se voulait des «emplois-année». Apparemment, il faudrait diviser ce fameux «million» par quatre ou cinq!

Sauf que cela donnerait à peine 200 000 emplois en huit ans, 25 000 emplois par année, ce qui est très en deçà du nombre d’emplois qui se créent bon an mal an en Ontario: autour de 100 000, sous les libéraux provinciaux et – ne l’oublions pas – sous les conservateurs fédéraux qui contrôlent les leviers économiques les plus importants.

De fait, au début de la campagne électorale, on suggérait que l’objectif de Tim Hudak était finalement assez modeste.

En matière de calculs controversés, le chef conservateur est en bonne compagnie.

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L’Américain Kenneth Rogoff était candidat au prix Nobel, l’an dernier, quand un étudiant a découvert des erreurs dans ses travaux sur l’endettement des nations, qu’on tenait pour responsables des politiques d’«austérité» en Europe. Mais sa thèse centrale – à savoir qu’il vaut mieux être riche et en santé que pauvre et malade – reste valable.

Le Financial Times affirme avoir trouvé des erreurs de calcul dans les tableaux de l’économiste français Thomas Piketty sur les inégalités. D’autres prémisses et omissions de la nouvelle coqueluche de la gauche étaient déjà très critiquées, mais cela ne transformera aucun indigné en jovialiste.

Plus près de nous, un autre ensemble de calculs sérieux est mis à mal par les analystes: le dernier budget de l’Ontario. La première ministre aura fort à faire, mardi soir, pour démontrer que c’est en s’endettant davantage aujourd’hui qu’on va miraculeusement équilibrer les comptes publics en 2017.

Elle devra aussi réconcilier l’idée qu’on ait besoin de ce «stimulus» avec ses assurances que la reprise économique est déjà en marche.

Autre interrogation qui n’est pas triviale: les 100 000 postes qui disparaîtraient dans la restructuration de la fonction publique annoncée par les conservateurs, là aussi sur une longue durée, sont-ils comptabilisés dans leur «million»? Probablement pas. Des emplois, il s’en perd et il s’en crée continuellement, mais les politiciens n’ont pas l’habitude d’en faire le bilan: selon qu’ils sont au pouvoir ou dans l’opposition, ils ne souligneront que les gains ou que les pertes.

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Certains commentateurs ont aussi avancé que l’impact négatif d’une réduction de 100 000 postes dans la fonction publique serait plus important que l’impact positif des réductions de taxes et de la bureaucratie.

Le plus grand défi, pour Tim Hudak, est certainement de nous convaincre que le jeu en vaut la chandelle: que ses hypothétiques 200 000 d’emplois supplémentaires valent les 100 000 bien réels qui seront éliminés.

Quoi qu’il en soit, qui, vraiment, croyait que les conservateurs ont eu l’heureuse surprise, après avoir arrêté leur programme, de découvrir que celui-ci allait totaliser un million d’emplois au cours de leurs deux prochains mandats? «Hé, ça nous ferait un bon slogan», aurait allumé un stratège du parti… Ce qui s’est passé, bien sûr, c’est qu’on a décidé du slogan avant, et adapté les calculs après.

L’idée qu’on voulait imposer – et il est possible que Tim Hudak y croie sincèrement – c’est que les conservateurs sont obsédés par la création d’emplois, et que toutes leurs décisions seront motivées par cet objectif. Par la même occasion, on laisse entendre que les adversaires ont d’autres priorités, ce que l’hyperactive Kathleen Wynne et la fonceuse Andrea Horwath ne démentent pas.

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Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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