Un menu musical équilibré

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Publié 03/02/2009 par Dominique Denis

Après s’être concentré, depuis plusieurs années, sur des projets plus intimistes, où il se retrouvait seul au piano ou accompagné d’un quatuor à cordes, William Sheller renoue, sur Avatars (Universal), avec l’approche qui avait fait de lui le symphomane de la chanson française (le néologisme est de lui). À la confluence du rock et du grand orchestre, ce plus récent opus n’est pas sans évoquer les années 70, cette excessive époque où des tas de groupes – Deep Purple, Procol Harum, Emerson Lake & Palmer, pour ne nommer que ceux-là – se frottaient, avec plus ou moins de succès, aux musiciens en queue de pie.

Musicien de formation classique – c’est d’ailleurs lui qui signe les arrangements d’Avatars – William Sheller est aussi un maître de la chanson pop sophistiquée, du genre qui est assez complexe pour satisfaire les amateurs de rock progressif, mais assez accrocheuse pour qu’on la fredonne après une ou deux écoutes. Les histoires qu’il nous raconte, peuplées de personnages plus ou moins fantasques (la plantureuse Armande qui fait son music-hall, Lady Éloïse et ses histoires de chantage), nous emmènent dans un univers qui a peu d’équivalents depuis qu’Étienne Roda-Gil a gagné le paradis des paroliers. Mais le principal plaisir que nous procure Avatars tient au petit jeu d’identification des influences musicales, qu’il s’agissent des Beatles (La longue échelle emprunte sans vergogne la palette instrumentale de Stawberry Fields Forever) ou encore des Travelling Wilburys (la guitare slide de Tout ira bien rappelle le meilleur George Harrison).

Si ses derniers albums nous faisaient l’effet d’un musicien qui se contentait de faire du sur place, ce nouvel opus marque simultanément un retour aux sources et un pas en avant pour William Sheller. Et pour ce plaisir, on lui pardonne ses quelques excès – tout comme on lui pardonnera la grotesque pochette d’Avatars.

Caïman Fu, chapitre trois

Pour exercer ce métier de critique musical au-delà de la vingtaine, il faudrait disposer d’une machine à rajeunissement, question d’écouter toutes ces nouvelles galettes avec les oreilles de ceux et celles à qui elles sont destinées. C’est ce que je me disais en écoutant Drôle d’animal (Vox Tone/DEP), le troisième album de Caïman Fu. Heureusement que nous vivons à l’âge où, comme on dit, rien ne se perd, rien ne se crée, et tout se recycle: ça me permet d’évaluer la démarche du quintette québécois à la lumière des disques du même genre qui avaient servi de bande-son à ma propre adolescence (je pense au Cure, à Blondie ou à Nina Hagen – les débordements opératiques en moins).

Et vue sous cette optique, la musique de Caïman Fu se défend honorablement.

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Même si la pédale est presque toujours au plancher, l’interaction entre les guitares et la section rythmique est désormais plus subtile, et le son s’est enrichi de couleurs qui pourront surprendre. Maintenant que la formation dispose de nouvelles ressources, elle a su relever le défi d’élargir sa palette (on retrouve même un chœur d’enfants sur Comme tant d’étoiles) sans sacrifier l’accessibilité et l’énergie primale du rock.

Ce même souci d’équilibre se retrouve dans le propos d’Isabelle Blais, qui signe de nouveau la plupart des titres de l’album: si la chanson titre revendique un côté puéril et rigolo («Je suis de la gomme baloune/Pleine de saveur/Si tu veux me gonfler/Fais attention/À trop m’étirer/Je pourrais bien éclater»), Blais n’hésite pas à s’aventurer dans des réflexions plus substantielles, sur la vie qui grignote la vie, justement («Même si la vie se trace/Des chemins sur mon corps/Il y a encore de la place/J’ai très peu de remords»).

Je ne tomberai pas dans le piège d’évoquer le vieux cliché de «l’album de la maturité», mais il est clair que Caïman Fu vient de franchir, avec Drôle d’animal, un pas dans la bonne direction: celle où le fond et la forme se conjuguent sans prétentions, mais sans complexes non plus.

Les héritiers du rock and roll

Puisqu’il est question d’invoquer mes propres repères pour mieux évaluer les fruits musicaux d’une autre génération, j’ai écouté Blonde Comme Moi (Warner Music), le premier album du trio français BB Brunes, à la lumière de mes souvenirs punkoïdes (je pense aux Buzzcocks, et même aux Kinks des premières années, si on veut vraiment remonter à la source).

Il faut dire qu’à cet égard, les bougres nous rendent la vie facile, en affichant d’entrée de jeu leur dette stylistique avec J’écoute les Cramps, exercice rétro où jeux de mots se confondent à jeux de bouche («J’écoute les Cramps/Tu te mets à genoux/Comme une première fois, comme une première fois/Si t’as une crampe en cours de route/S’il te plaît préviens-moi»). À partir de là, il n’y a pas à se casser la tête, le propos mysogyne et baveux baignant dans sa propre mythologie (BB Baise, Brune BB), le tout propulsé par des riffs assassins et des solos bâtis sur trois notes.

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Bien sûr, tout cela ne vole pas haut, mais puisque l’histoire du rock est l’histoire d’un tiraillement perpétuel entre la tête et les tripes (ou entre le cœur et le cul, c’est comme vous voulez), le rock and roll sans fioriture que nous propose BB Brunes s’avère un contrepoids nécessaire aux élans sophistiqués d’un William Sheller, par exemple. Et à l’époque résolument post-tout que nous vivons, il n’y a aucune raison que ces deux extrêmes ne fassent pas bon ménage dans votre iPod.

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